- Lea Raso Della Volta
PCC, le nouveau visage du crime organisé au Brésil
En 1993, la très mystérieuse confrérie criminelle dite du PCC a vu le jour dans l’univers carcéral brésilien. Depuis, elle ne cesse d’étendre ses tentacules et s’est emparée de la « rue » brésilienne. Mais son pouvoir ne se limite pas uniquement au Brésil, son terrain de chasse s’étendant aux États-Unis et à l’Europe.
Elle est connue sous son acronyme, PCC, qui signifie en portugais, Primeiro Comando da Capital, ou premier commando de la capitale. L’organisation n’est ni mafieuse, n’appartient pas à un cartel. Elle est sortie de sa « niche » carcérale, pour prendre possession des favelas et la rue. L’organisation est dépeinte par Gabriel Feltran et Katia Biondi comme une organisation paramilitaire.
Il y a tout juste vingt-cinq ans, elle s’est imposée au sein de la prison d’où elle dicte littéralement sa loi aux autorités, dont elle refuse par ailleurs les règles. Une trajectoire qui n’est pas sans rappeler une autre confrérie, les Vor v Zakone ou voleurs dans la loi, qui a vu le jour dans les prisons soviétiques, et qui, à l’instar du PCC, refuse de se soumettre aux lois de l’État, pour imposer ses propres lois.
L’objectif du présent article est de réaliser une approche taxinomique entre cette organisation qui a surgi sur le devant de la scène il y a peine deux décennies et les Vor v Zakone, dont l’antériorité remonte aux premières années du régime communiste en Russie.
Un match de football, acte de naissance du PCC
Il est rare que l’on soit en mesure de dater la naissance d’une organisation criminelle, car celle-ci plonge souvent ses racines dans plusieurs événements ou faits de société. Pour le PCC, les chercheurs sont unanimes et affirment avec précision, que le PCC a vu le jour le 31 août 1993 ; un moment charnière, au cours duquel le pouvoir a changé de mains. Ce jour-là, dans la prison de Taubaté à São Paulo, reconnue pour être l’une des plus dures du pays, les détenus disputent un match de football dans la cour.
D’après les chercheurs, le match de football opposait le Premier Commando de la capitale, au Commando Caipira. L’équipe victorieuse, le PCC, a roué de coups la tête du caïd qui régnait sur Taubaté, puis l’a décapité, ainsi que le vice-président du pénitencier, dont la tête fut empalée sur un pieu. Fatima Souza dans son livre PCC : A facção, décrit une scène d’une barbarie inouïe, destinée à prendre le pouvoir par la terreur. La Mocro Maffia fera de même pour imposer sa loi.
Les huit détenus qui sortirent victorieux du match scellèrent un pacte, par lequel ils devenaient frères, et désignaient leurs ennemis, qui n’étaient pas d’autres prisonniers, mais le système et les autorités.
Dès lors, ils exigeaient de la part de l’administration pénitentiaire qu’elle respecte leurs droits, que l’on cesse de persécuter leurs familles ou qu’on les humilie en les privant de leur dignité d’êtres humains.
Les émeutes survenues en 1992 à São Paulo et qui opposèrent les détenus de la prison de Carandiru aux forces de sécurités brésiliennes ont fait 100 victimes parmi les prisonniers. Les huit détenus à l’origine de la naissance du PCC sont issus de Carandiru.
En mai 2006, ils fomentèrent une série d’émeutes à São Paulo, le PCC s’attaquant simultanément à des policiers, des commissariats et des casernes tandis que, dans des dizaines de prisons, les détenus se soulevèrent contre les gardes, paralysant ainsi la plus grande ville d’Amérique latine. Écoles, commerces et banques ferment. Les bus cessent de circuler. En dépit du fait que 560 personnes perdirent la vie en deux semaines, sous les tirs de la police, le PCC venait de faire une démonstration de sa force.
Si l’on accepte le parallèle avec les Vor v Zakone, ils vont réussir à incarner la voix des détenus face à l’État et, comme eux, ils s’affirment par la délinquance, tout en mettant en place leurs propres méthodes de commerce et de résolution des conflits dans les quartiers les malfamés.
Ils sont craints, mais aussi respectés par la population brésilienne qui voit en eux des « grands frères » capables de les protéger des exactions commises par les autorités. Aussi, tous parlent de « sintonia » avec le PCC, autrement dit, ils acceptent de manière tacite la loi du premier commando de la capitale, dont le nombre des membres ne cesse de croître, 20 000 selon les autorités, dont 6000 seraient actuellement détenus.
Société secrète aux multiples ramifications
Le lieu de recrutement c’est la prison, qui est un lieu de prédilection des grandes organisations criminelles, il en va de même pour les Vor v Zakone. L’univers carcéral est propice au recrutement de nouveaux membres, un défi pour le gouvernement. Cela permet aussi de s’assurer de la fidélité d’un futur membre et de juger de sa capacité à résister à la pression de l’univers carcéral. On suppose qu’à l’issue d'une période probatoire, succède une initiation, au cours de laquelle le futur membre fait officiellement allégeance à l’organisation.
Tous les chercheurs et journalistes s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’une mafia, pourtant, le rituel qui consacre ses membres et les baptise « frères » n’est pas sans rappeler celui de la très secrète mafia des origines. Le rituel est dit secret, mais on peut assurément le rapprocher de celui de toute société initiatique, où le récipiendaire est tenu de jurer sur un livre saint, sa fidélité à l’organisation, sous peine d’être voué aux gémonies.
La rupture du secret entraîne certainement des sanctions corporelles, voire la mort de tout frère qui renoncerait à son serment. Aussi, aucun d’entre eux ne se risque à clamer, ni même admettre son appartenance au PCC.
Il existe des signes de reconnaissances qui échappent pour l’heure à la police. Le sociologue Gabriel Feltran souligne l’aspect commerçant de leurs méthodes, les loges maçonniques font une meilleure comparaison : “Il s’agit d’une société secrète structurée autour de la distinction entre les affaires individuelles et l’organisation politique. Imaginons trois francs-maçons : le premier tient un restaurant, le deuxième un atelier de réparation, et le troisième est écrivain. Chacun gère ses propres affaires qui n’ont rien à voir avec la franc-maçonnerie. Mais quand ils décident d’appartenir à cette confrérie, ils deviennent tous les trois des frères. Si le restaurant gagne plus d’argent que l’atelier, cela n’implique aucune distinction au sein de la confrérie. C’est au contraire un réseau d’entraide.”
Gabriel Feltran a été parmi les premiers à évoquer les ressemblances entre le rituel maçonnique et celui du Premier Commando de la Capitale. La ressemblance avec la maçonnerie ne se limite pas au rituel mais aussi au mode de recrutement, puisque le chiffre de 35 000 frères, en 25 ans, a été avancé et que la confrérie accueille dans ses rangs, des cadres, des ouvriers, des femmes de ménage, des vendeurs ambulants.
Voyous, dans leur loi
Les similitudes avec les Vor v Zakone, ne se limitent pas au rejet de l’autorité étatique, mais aussi à la « morale », au respect de la loi qu’ils ont édictée, notamment au sein de la prison, où l’utilisation de drogues est interdite aux membres de l’organisation. Ce qui ne les empêche nullement d’avoir la haute main sur le trafic de drogue et de générer d’immenses profits avec l’Europe.
Le procureur Lincoln Gakiya estime que le bénéfice s’élève à 100 millions de dollars, par an. Avec les Vor v Zakone, ils partagent un règlement très strict, une morale à usage interne, puisqu’ils se doivent de n’avoir jamais violé, tué injustement, commis de faute grave lors d’une mission, ni eu la faiblesse de moucharder, mais aussi d’abuser d’enfants, d’assassiner sans autorisation, appartenir à un groupe rival ou dénoncer un frère, sont autant de fautes qui se paient par la mort ; répéter certaines erreurs est passible d’exil. Aux premières infractions au code commises, les membres reçoivent des d’avertissements ou d’amendes.
Le code des Vor v Zakone comprend 17 articles, celui du PCC en compte 18. Il est notamment précisé que les membres doivent jurer de lutter pour la paix, la justice, la liberté, l’égalité et l’unité sans jamais perdre de vue l’objectif de développer l’organisation en respectant le code moral du crime.
La solidarité dont doivent faire preuve les membres rappelle, celle en vigueur chez Voleurs dans la loi, c’est ce que révèle l’anthropologue, Karina Biondi.
Dans cet ouvrage, elle explique que le groupe recherche des candidats aux compétences bien définies. En haut de la liste, un fort pouvoir de persuasion, mais aussi de l’éloquence et un parcours attestant de leur loyauté au crime.
Le recrutement des Vory russes se faisait dans le milieu des voleurs, cambrioleurs et de ce fait, le recrutement est beaucoup plus resserré. Le devoir de solidarité est attesté.
Et la première d’entre elles, commune aux deux organisations est le versement d’une cotisation qui sert à aider les familles dont les membres sont emprisonnés.
Elle s’élève à environ 1000 reais, soit 165 euros, mais est réduite pour les membres emprisonnés. Elle permet de financer les visites des proches dans les prisons reculées, mais aussi l’achat d’armes, de nourriture pour les familles les plus démunies ou de cadeaux de Noël pour les enfants.
Les Robin des bois des favelas
Pour garder la police à distance et s’assurer que rien ne vienne perturber son commerce, le PCC a mis en place un système judiciaire complexe qui lui est propre et qu’il applique à l’intérieur et hors des prisons : l’accusé a le droit de se défendre, il est interdit de tuer sans autorisation, et tous les verdicts doivent être débattus jusqu’à déboucher sur un consensus. Ils résolvent tous types de conflit et rappellent, les premiers temps de la ’Ndrangheta où le mammasantissima, chef de la société secrète, était un juge auquel on soumettait des cas litigieux à trancher. Il pratiquait une justice impitoyable à l’égard de ceux qui enfreignent les règles de morale.
La confrérie du PCC se substitue souvent à la justice classique. En janvier 2022, la police interrogea Giulia Candido, âgée de 21 ans, sur la mort de son bébé avant de la laisser partir. Puis, le PCC s’empara de l’affaire, imposant de facto sa propre morale. Le nourrisson était déjà mort lors de son arrivée à l’hôpital et présentait des traces de morsure sur le visage, ainsi que des fractures au crâne, au torse, à la mâchoire, au nez et à la clavicule. Selon les policiers, rien n’indique que la mère a pu être à l’origine de ces blessures fatales. Mais Giulia est séquestrée par des membres du PCC, pour répondre de ce crime, car pour le PCC, cela ne fait aucun doute, elle est responsable de la mort de son enfant. D’après les autorités, le PCC l’avait condamnée, l’intervention de la police lui permettra d’échapper à la mort.
Dans les favelas, où la violence, sur fond de trafic de drogue, était le quotidien de la population, le PCC a réussi à calmer les esprits en imposant des prix de vente à ses trafiquants afin d’éviter la concurrence et les conflits. “Le PCC n’a pas le monopole de la vente de drogue à São Paulo, explique il se contente de réguler le marché.”
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ils semblent avoir apporté la paix dans les banlieues. Ce que le gouvernement a échoué à faire pendant des décennies, le PCC y est arrivé en un mois. Ça a été incroyable. Le quotidien de millions de personnes s’en est trouvé bouleversé. Pendant son adolescence, Rodrigo était régulièrement témoin de fusillades. Mais si, dans les banlieues, le mérite de la baisse des indices de violence est attribué au PCC, Lincoln Gakiya et d’autres procureurs, en doutent.
Une image romantique écornée
Certaines rues à Naples sont sous le contrôle de la Camorra et il y règne une certaine tranquillité, puisqu’ils ont réussi à éliminer le vol à la tire, ou la présence des pickpockets. Mais il convient de ne pas perdre de vue que ces organisations, aiment l’ordre, car le désordre nuit à leurs affaires.
Comme dans le cas des Vor v Zakone, l’image de rigueur morale donnée par l’organisation doit être nuancée par le fait qu’elle a un lien très fort avec le crime organisé et se livre à des trafics en tous genres.
Le trafic de drogue constitue le fonds de commerce de cette organisation présente dans toute l’Amérique du Sud, en particulier au Paraguay et en Bolivie, mais aussi aux États-Unis, au Portugal, en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. “Si le Brésil reste son principal marché, elle a atteint le point de non-retour en Europe, source de bénéfices fabuleux sans grande prise de risque”, explique le procureur Lincoln Gakiya qui traque les membres de l’organisation. Par exemple, un gramme de cocaïne se vend 12 euros au Brésil, mais 60 à Barcelone et 78 à Berlin, et ne reste bon marché qu’en Colombie. Le blanchiment d’argent est en conséquence devenu une priorité. De l’autre côté de l’Atlantique, ses affiliés européens et africains se chargent de la dernière étape et de fournir la cocaïne aux Européens.
La violence extrême et la cruauté sont aussi l’un des visages de l’organisation. La preuve en est donnée par les émeutes du 1er janvier 2017 une atmosphère sinistre s’installe dans la cour de la prison de Manaus, dans l’État d’Amazonas. Peu après les visites, les caméras de surveillance enregistrent des dizaines de détenus armés de fusils, de pistolets, de machettes, de bâtons et de barres de fer pourchassant des prisonniers appartenant au PCC. Les frères faisaient partie des indésirables, aux côtés des violeurs et des ex-policiers. Durant les dix-sept heures que dura l’émeute, 56 détenus furent assassinés, pour la plupart des membres du PCC ou affiliés à celui-ci : décapitations, cœurs arrachés et immolations par le feu, s'enchaînent. Une barbarie inouïe qui rappelle les fureurs tribales.
Cet épisode a été le coup le plus dur porté au PCC. Six jours plus tard, dans une prison située à 800 kilomètres de là, à Boa Vista, l’organisation tue, en guise de représailles, 33 membres ou alliés locaux du Comando Vermelho, le groupe le plus puissant de Rio de Janeiro. Cette violence extrême marque la fin de l’alliance entre les deux principaux groupes criminels du pays.
Conclusion
Où l’État est absent ou peine à s’imposer, les groupes criminels prospèrent et tendent à jouer le rôle de l’État. La question demeure « sommes-nous en présence d’une organisation de type mafieux » ? Ou bien s’agit-il de l’un des avatars du crime organisé ?
Steven Dudley, qui étudie le crime organisé au sein d’InSight Crime souligne que le PCC “interdit l’extorsion, […] chose inhabituelle pour une organisation exerçant un tel contrôle sur son territoire”.
Elle présente d’étranges similitudes avec les Vor v Zakone, car comme le souligne Gabriel Feltran : Le PCC n’a pas de maître, de chef, ni de général. C’est une société secrète aux positions hiérarchiques non incarnées par des personnalités. Elles sont appelées « Harmonie » Cette structure inclut des fonctions militaires et liées au marché, sans pour autant se confondre avec elles.
De là à dire que l’organisation est parcourue par l’idéologie anarchiste il n’y a qu’un pas, comme semble le justifier l'absence de chefs et la volonté de s’affranchir de l’autorité étatique.
Car comme le souligne Gabriel Feltran : « le PCC est une société secrète dont l’objectif principal est le progrès de ses frères (membres) par le vol et non par le travail et qui est tournée vers la lutte violente et silencieuse contre le système ».
Pour aller plus loin
Lire l'article Statu Quo : La "Mocro Mafia" : Un conglomérat de gangs ou une proto-mafia ?
Bibliographie
Biondi, K, Junto e misturado- uma etnografia do PCC, Editora Terceiro Nome, São Paulo, 2010.
Costa, F Adorno, L, Pcc, não tem dono. E uma fraternidade do crime » diz sociologo que estuda a facção, in : Cotidiano, 8 août 2018, https://noticias.uol.com.br/cotidiano/ultimas-noticias/2018/08/08/pcc-nao-tem-dono-e-uma-fraternidade-do-crime-diz-sociologo-que-estuda-a-faccao.htm?cmpid=copiaecola
Feltran, G, Uma história do PCC, Campanhia das Letras, 2018.
Galarraga Cortazar, N, Alessi, G, PCC, la hermandad de los criminales, in : El País, junio 2020.
Sousa, F, PCC a facção, Editora Record, 2020.