- Clément Poissonnier
Pakistan : L’élection du nouveau Premier Ministre Shehbaz Sharif pose question
L’ancien Premier Ministre Imran Khan, à peine évincé du pouvoir à la suite d’une motion de censure le 10 avril 2022 de son gouvernement, a été remplacé directement par Shehbaz Sharif. Un membre bien connu d’une famille qui a régné sur un pays réputé ingouvernable.
C’est avec peu de surprise, après avoir perdu la majorité quelques jours auparavant, que l’on apprenait le 10 avril 2022 que l’ancienne star du cricket et ancien Premier Ministre Imran Khan perdait son poste après le vote des députés. On apprenait le lendemain la nomination de Shehbaz Sharif. Membre de la Ligue musulmane du Pakistan, il a été élu à 174 voix pour 342 députés au total.
L’élection déjà jouée d’avance après avoir obtenu la majorité quelques jours plus tôt, les partisans d’Imran Khan ne sont pas présents au scrutin, dénonçant une « conspiration étrangère contre le Président actuel, Arif Alvi.” Même si ce titre est principalement honorifique, le Président actuel aura pour Premier Ministre un membre de l’opposition. En effet, Shehbaz Sharif et son parti sont politiquement de centre droit assez libéral alors que l’ancien gouvernement était très à cheval sur la question du social et assez libertaire.
Pour remporter ces élections, Shehbaz Sharif a fait une alliance avec le Parti du peuple pakistanais (PPP), politiquement de centre à gauche. Imran Khan avait d’ailleurs rencontré Vladimir Poutine le jour de l’invasion de l’Ukraine. Cette rencontre avait été lourdement décriée par l’opposition.
Cette élection a provoqué de multiples manifestations dans la capitale, Islamabad. Les jeunes voient d’un mauvais œil ce changement de ministre puisqu'ils assurent que le nouveau Premier Ministre est corrompu. Né en 1951 à Lahore, véritable poumon de la vie politique pakistanaise, il a été ministre en chef du Pendjab pendant 12 ans. Le Pakistan étant organisé avec système fédéral, le Pendjab est la province la plus peuplée du pays avec 152 millions d’habitants. Il a une réputation d’homme pragmatique et efficace.
Le retour d’une dynastie au pouvoir
Shehbaz Sharif est né dans une famille habituée à la politique à Lahore, capitale politique du pays. Son frère, Nawaz Sharif a été élu trois fois Premier Ministre du pays entre 1990 et 2013. Le scandale des Panama Papers l’avait forcé à l’exil. Il avait ensuite été emprisonné en juillet 2017. Malgré ses contournements fiscaux, la famille Sharif reste très populaire dans la classe moyenne pakistanaise comme l’explique Amélie Blom, maîtresse de conférence en sciences politiques à Sciences Po Lyon et spécialiste du Pakistan à RFI : « Lui, comme toute la famille Sharif, reste très populaire au sein de la classe marchande et de la classe moyenne du Pendjab.”
Shehbaz Sharif va donc devoir composer avec les forces en présence, pour contrecarrer l’image bling-bling d’une famille de millionnaires peu scrupuleux. Déjà marié 3 fois et détenteur de plusieurs villa à Dubaï, le Premier ministre a réussi à améliorer son image en se mariant avec sa femme actuelle, l’écrivaine féministe Tehmina Durrani en 2003. Shehbaz Sharif va devoir composer avec la junte militaire, très active au Pakistan même si cela ne ravit le néo-chef du gouvernement comme l’explique Amélie Blom : « Les militaires ont joué un rôle assez complexe durant toute la crise actuelle. Le Pakistan est un régime politique hybride, mi-démocratique, mi-autoritaire. Il y a un partage du pouvoir imposé par le pouvoir militaire, mais que beaucoup de parties civiles ont fini par accepter. En 2018, Imran Khan était le rêve incarné pour le militaire. Ils avaient enfin trouvé un Premier ministre qui avait des visions très proches des leurs, prêt à gouverner en coopération avec l'armée. Ça s'est mal terminé finalement. Il a été lâché par l'armée et c'est ce signal-là qui a été saisi par l'opposition pour le faire tomber par le vote d’une motion de censure à l'Assemblée nationale.Pendant toute la durée de la crise constitutionnelle la semaine dernière, les militaires sont restés assez discrets. Ils n’ont fait aucune déclaration. Ils veulent de toute façon une sortie de crise rapide. C'est une évidence absolue que si cette crise à ce dénouement-là, c'est qu’il est satisfaisant pour l'armée. Si ce n’était pas le cas, les choses se seraient passées autrement. »
De fortes décisions politiques d’entrée
A peine à la tête du gouvernement, Shehbaz Sharif a souhaité prendre de fortes décisions. Il a d’ailleurs dans un premier temps déclaré avoir ouvert une enquête quant aux allégations de l’opposition à propos de la possible orchestration de son élection par les Etats-Unis : « Si une once de preuve est produite, je démissionnerai ». Le Premier Ministre a également déclaré vouloir « améliorer » ses relations avec Washington tout en « préservant son amitié avec la Chine ». Sur le plan économique, le Pakistan fait face à une grave crise financière causée par une inflation galopante, à peu près 12%, ainsi que l’augmentation rapide du déficit du commerce extérieur. Pour endiguer cette crise, le nouveau Premier Ministre a annoncé deux mesures phares pour l’économie. La première est le rehaussement du salaire minimum à 25 000 roupies soit à peu près l’équivalent de 125 euros. Les retraites augmenteront également de 10%.
L’autre défi de Shehbaz Sharif est la sécurité du pays. Les talibans, qui ont déclaré rompre le cessez-le-feu avec la capitale, ont menacé d’effectuer plusieurs attentats stratégiques au sein de la capitale Islamabad.
Le Premier Ministre va donc devoir faire un mix, entre tradition et modernité, pour maintenir à flot un pays dans la tourmente.