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  • Candice NOUAILLIER

Les enjeux de la province chinoise du Xinjiang

Depuis 2016, le Parti communiste chinois (PCC) a infléchi sa stratégie de sécurisation intérieure au Xinjiang, en renforçant le recours à la détention de masse, à la rééducation idéologique et à la surveillance des réseaux de la diaspora ouïgoure. Les arguments généralement avancés pour expliquer ce changement sont axés sur des considérations nationales : particulièrement, l’instabilité ethnique. Toutefois, les changements de stratégie du PCC au Xinjiang ont aussi été catalysés par l'évolution de la perception du Xinjiang comme pivot de la stratégie chinoise d’expansion vers l’Ouest.


 

Le Xinjiang, autre facette de la Chine


La région autonome du Xinjiang – aussi appelée Turkestan oriental ou Turkestan chinois – constitue un territoire particulièrement significatif et symbolique pour la Chine. En effet, cette province, la plus vaste de Chine – avec une superficie de 1 660 000 km2, soit 17,4 % du territoire chinois et équivalente à la superficie de l’Iran, selon une fiche de l’ambassade de France en Chine – est abondamment pourvue en ressources naturelles. Situé à l'extrême Ouest du pays, le Xinjiang s'ouvre sur la région du Cachemire, et donc sur l'Inde et le Pakistan – d'un côté le grand concurrent de la Chine en Asie, de l'autre un allié –, et s'avère être un pivot stratégique au service des intérêts chinois, notamment dans ses relations avec les Etats voisins. Elle est également limitrophe du Tadjikistan, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de la Mongolie, de la Russie et de l’Afghanistan.


Le Xinjiang, qui signifie littéralement « nouvelle frontière » en mandarin, est à bien des égards un front pionnier équivalent à la conquête de l’Ouest américaine, un lieu à conquérir et à exploiter en suivant une logique coloniale ; un territoire qui éveille les fantasmes. Il suffit de consulter le titre de la version anglaise de l'article qu'a rédigé Rémi Castets dans Le Monde diplomatique, intitulé « China's internal colony », pour se convaincre que le Xinjiang est bien une colonie interne. Il s'agit d'une région culturellement non-sinisée et non-sinophone, dans laquelle le gouvernement pousse les colons de l'ethnie Han – le groupe ethnique majoritaire en Chine – à s'installer, procédant ainsi à un processus progressif de « sinisation », ou d’« hanisation » à marche forcée du Xinjiang, comme l’expliquent Claudia Astarita et Isabella Daminani dans un article publié dans la revue Géoéconomie.

La population ouïgoure parle en effet l’ouïgour, qui appartient à la famille des langues turques, ce qui la distingue nettement de la population chinoise globale qui pratique les langues dites « chinoises », en majorité le mandarin et le cantonais. La population ouïgoure est également de confession musulmane sunnite : leur religiosité tranche résolument avec les valeurs patriotiques prônées par la Chine communiste.



Une « nouvelle frontière » pour développer l’Ouest chinois


Le Xinjiang jouxte par ailleurs le Tibet. Ces deux régions du Grand Ouest chinois sont placées sous le même parapluie sécuritaire que le Parti communiste chinois (PCC) de Xi Jinping a renforcé depuis 2016. Ce renforcement est motivé par plusieurs considérations. Premièrement, la concentration des ressources minières et gazières que le gouvernement chinois souhaite exploiter : en effet, le Xinjiang abrite d’importantes réserves de pétrole, de gaz naturel, de charbon, et plus de 138 variétés de minéraux dont le minerai de fer, la mirabilite, le calcaire, le béryllium et le mica.

Deuxièmement, la région est conçue comme une plaque tournante du commerce entre la Chine et ses voisins et comme un point névralgique de Go West Policy chinoise – sa politique de développement vers l’Ouest. La Chine représente 96 % de l'exploitation des terres rares, d’après un article publié dans l’Express. Elle a lancé des projets de coopération avec ses voisins riches en terres rares et en minéraux, réinventé toute une diplomatie et installé ses ambassades dans les nouveaux pays centre-asiatiques pour les aider à se décloisonner et à acquérir une visibilité internationale.

Dès lors, l'ouverture de cet arrière-pays, l'Asie centrale, dont la porte d'entrée est la province du Xinjiang, est une véritable aubaine pour la Chine : « Le Xinjiang est amené à être transformé en centre nodal où se cristallisent le commerce et les échanges avec l’Asie centrale, dans l’espoir que le dynamisme économique engendré permettra de réduire les inégalités de développement et d’atténuer les tensions sécuritaires », analyse Nadège Rolland dans la revue Politique étrangère.


Aujourd'hui, le Xinjiang est le pivot de l'ambitieuse initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie (ou Belt and Road Initiative, BRI) lancée en 2013. En raison de sa position géographique, il constitue la principale passerelle terrestre de la Chine vers l'Asie centrale et occidentale, vers les marchés européens. Par le biais d'une modernisation logistique fulgurante de la province, comprenant la construction de routes et de voies ferrées, la Chine intègre cette région autrefois ostracisée à son processus monumental de connectivité mondiale. Par exemple, le chemin de fer du sud du Xinjiang à Kashgar est relié au réseau ferroviaire pakistanais dans le cadre du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), l'un des principaux projets de la Chine dans le cadre de la BRI.



Une problématique de sécurité intérieure


Il y a une population d'environ 10 millions de Ouïghours au Xinjiang. Il existe également une diaspora de 12 millions de Ouïghours en Arabie Saoudite et dans la galaxie turcophone, qui dispose de relais politiques représentés par Rabiya Kadeer, sorte de « Dalaï Lama ouïgoure » qui revendique l'indépendance de sa communauté.

Dans le cadre du projet du gouvernement chinois visant à sécuriser le Xinjiang, la population ouïgoure subit une forte oppression. Certains spécialistes et militants – par exemple, le député européen Raphaël Glucksmann – font état d’un génocide – l’Assemblée nationale française a par ailleurs dénoncé ce génocide en janvier 2022 –, tandis que la chercheuse au CNRS Sabine Trebinjac évoque un « civilicide ». Dans un podcast consacré à la population ouïgoure sur France Culture, cette dernière s’exprimait : « Je parle d'un civilicide puisque tout ce qui relève de la civilisation ouïgoure tend à disparaître ou est gommé. Par exemple, les Ouïghours n’ont plus le droit de parler leur langue et doivent parler le mandarin ».

Les méthodes de répression sont nombreuses, allant d’une surveillance de type orwellienne avec l’intrusion de faux « cousins » chinois dans les foyers ouïghours, à la déportation dans des camps de rééducation rappelant les goulags soviétiques. Outil élémentaire de la répression contre les Ouïghours, les laogaï, spécificité concentrationnaire chinoise dont le nom signifie « rééducation par le travail » en mandarin, ont pour but de rééduquer les personnes qui y sont incarcérées. Selon le chercheur Rémi Castets dans un article du Monde diplomatique, plus de 10 % de la population ouïgoure, soit un million de personnes, serait soit passée par ce dispositif, soit actuellement emprisonnée dans ces camps de rééducation.


Les problématiques sécuritaires au Xinjiang se cristallisent autour du terrorisme islamiste. L’ETIM (East Turkestan Islamic Movement) est une organisation militaire et terroriste, d'idéologie salafiste djihadiste, active en Chine, au Pakistan et en Syrie lors de la guerre civile syrienne. Cette organisation a été influencée par le succès des combattants moudjahidines contre la guerre soviétique en Afghanistan pendant la guerre froide, et se rattache à la mouvance de Daech, qui, contrairement au terrorisme nomade d’Al Qaeda, montre une volonté de constituer un Etat sous la forme du califat. Au Xinjiang, les autorités chinoises perçoivent d’un mauvais œil l’affiliation musulmane de la population ouïgoure couplée à ses velléités séparatistes, et pensent adresser une problématique de sécurité intérieure et d’intégrité territoriale.

Le 5 juillet 2009, à Ürümqi, chef-lieu du Xinjiang, 200 personnes sont décédées dans des affrontements interethniques entre les Han et les Ouïghours, dans le soulèvement le plus meurtrier jamais enregistré dans l'histoire de la région autonome. Cette révolte a été suivie de quelques attentats dans la région et dans le reste de la République populaire, attribués à des cellules djihadistes ouïghoures. Entre 2013 et 2014, quelques attentats d'origine ouïghoure présumée ont eu lieu dans la région, ainsi qu'à Pékin, à Kunming (dans le Yunnan) et à Canton (dans le Guangdong). Celui s’étant produit à la gare de Kunming, où des individus armés de couteaux ont fait 33 morts, est resté gravé dans les mémoires comme le « 11 septembre chinois ». Les autorités chinoises entendent éradiquer le problème du terrorisme et des trafics illégaux en s’appuyant sur l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui comporte dans sa charte des éléments de langage qui sous-entendent lutter contre les trois grands « fléaux » menaçant la stabilité régionale : le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme religieux.



Conclusion


La région représente donc un point de passage crucial, aux multiples enjeux sécuritaires et économiques, ainsi qu'une région décisive pour la sécurisation de l'intégrité territoriale de la Chine, menacée par les aspirations séparatistes d'une population qui ne se considère comme étrangère et qui a été victime de persécutions du gouvernement central au cours des dernières décennies. Les Ouïghours ont maintenant face à eux l'exemple de cinq États turcophones nouvellement indépendants à l'ouest : Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizstan, Turkménistan et Ouzbékistan – le Tadjikistan étant persanophone –, tous érigés sur les décombres d'un empire sous domination communiste.

Les Ouïghours ont donc une profonde connaissance de leur propre faiblesse et de leur manque d'indépendance. Une prise de conscience similaire au Kazakhstan soviétique avait amené, en 1986, des Kazakhs au demeurant discrets à orchestrer les premières manifestations anti-Moscou, après l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev et le remplacement du kazakh Dinmoukhammed Kounaïev par le russe Gennady Kolbin à la tête de la république autonome, comme l’explique un article de The Economist.


Il est important de garder à l'esprit, lorsque le dossier du Xinjiang est examiné, le changement du climat international engendré par les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Cet événement a révolutionné la façon dont la communauté internationale perçoit la plupart des mouvements séparatistes, en particulier lorsqu'ils émanent de populations musulmanes. Que cela soit en Palestine, au Cachemire, en Tchétchénie, ou ailleurs, les mouvements séparatistes sont désormais catalogués comme terroristes. Alors que l'on parlait jadis de « décolonisation » ou de « guerres de libération nationale », ces luttes sont maintenant toutes commodément classées dans la catégorie de terrorisme par les États concernés.

Cela dit, il est tout aussi clair qu'au cours de la même période, de nombreux conflits qui étaient auparavant jugés comme des affaires purement domestiques et ne justifiant pas une ingérence, sont désormais largement reconnus comme des préoccupations internationales. La limite entre les affaires nationales et internationales s'estompe partout, en raison notamment de l'accès considérablement facilité à l'information, à l'ère de l'internet.

Dans le cas du Xinjiang, les gouvernements occidentaux sont montés au créneau, Etats-Unis en tête. L'administration américaine a pris des mesures contre la Chine sur cette question avec le Uyghur Human Rights Policy Act introduit en 2019, visant à dénoncer les atteintes aux droits de l'Homme envers les Ouïghours, et à rejeter les demandes de visas de certains fonctionnaires et entreprises chinoises. En outre, l'ancien secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, a qualifié les actions chinoises de génocide et de campagne brutale et systématique visant à effacer la religion et la culture au Xinjiang, comme le rapporte The Guardian.


Pendant ce temps, les actions des autorités indiennes contre les musulmans du Cachemire ne sont pas reconnues par les États-Unis comme des violations des droits de l'Homme. Il est donc évident que la réaction des États-Unis à l'égard des actions chinoises au Xinjiang est principalement due à l'importance stratégique de cette région quant à l’expansion de la Chine vers l'Ouest, qui représente une menace pour l'hégémonie mondiale des États-Unis. Ainsi, les réactions américaines relatives à la protection des droits de l'Homme semblent intéressées et se greffent essentiellement sur la rivalité qui oppose les deux premières puissances mondiales.

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