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  • Anaïs CAUSSE

Le nucléaire nord-coréen, l’ultime porte de secours du régime ?

Début janvier 2022, la Corée du Nord multiplie les inquiétudes à l’international en prolongeant ses essais balistiques en mer orientale de Corée. Le nucléaire semble donc être l’arme ultime du régime nord-coréen.



 

Début janvier 2022, la Corée du Nord multiplie les inquiétudes à l’international en prolongeant ses essais balistiques en mer orientale de Corée. Cette attitude s’inscrit dans la continuité. En effet, les premières inquiétudes internationales sur le nucléaire nord-coréen remontent à 1993-1994, suite au tir balistique d’un missile Rodong qui survola l’archipel japonais pour atterrir dans l’océan Pacifique et qui aboutira à une crise diplomatique avec Washington. La situation nucléaire et militaire nord-coréenne a ensuite évolué, avec les escalades successives que nous connaissons. Aujourd’hui comme hier, cet acharnement de Pyongyang à vouloir acquérir l’arme nucléaire nous fait nous demander dans quelle mesure est-elle essentielle à la survie du régime nord-coréen ?


Une clé de compréhension de l’enjeu du nucléaire en Corée du Nord est de déchiffrer les différents atouts de l’arme. Commençons d’abord par examiner l’aspect sécuritaire que détient l’arme nucléaire.



Histoire nucléaire de la Corée du Nord


Il convient d’abord d’effectuer un état des lieux de la puissance nord-coréenne.

L’armée nord-coréenne, créée dans la foulée de la création du pays, est une des plus importantes au monde en effectifs (actif ou en réserve). L’armée de terre est la première en effectif, suivie des forces aériennes puis de la marine, beaucoup moins développée et pertinente. Un point commun à toutes les branches de l’armée coréenne est l’obsolescence des équipements et le manque d’innovation technologique qui rendent peu efficace le matériel nord-coréen. Plutôt que de rénover tout l’équipement, la dictature de Pyongyang a fait le choix de s’engager vers l’acquisition d’un potentiel nucléaire.

Il est à noter que la Corée du Nord était originellement signataire du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires depuis 1985, mais s’en était retirée en 2003. En 2005, à la conférence de Pékin, elle acceptait pourtant d’entrer en négociation pour renoncer à l’arme nucléaire en contrepartie de garanties de sécurité et d’un accès au nucléaire civil. Ces négociations n’ont pas mené à beaucoup de résultats, puisque les années qui suivirent virent une succession d’essais nucléaires et balistiques.


Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-Un en 2011, le programme nucléaire et balistique se poursuit et s'accélère, avec un changement de priorités. Les objectifs fixés sont de miniaturiser et de diversifier les armes nucléaires, ainsi qu’augmenter leur précision. Possédant officiellement la bombe A depuis 2006, et la bombe H depuis 2016, la Corée du Nord possèderait ainsi plusieurs types de missiles, et fait plus d’une vingtaine d’essais en 2019 :

- Des systèmes à courte portée : KN 23 (8 essais en 2019 ; trajectoire dépréciée donc vole beaucoup moins haut qu’un missile balistique classique, pour éviter plus facilement les défenses antimissile comme PAK 3), KN 25 (18 essais entre 2009 et 2020, roquettes guidées, capacité de frappe de courte portée et de précision)

- Des systèmes mobiles à propulsion solide

L’intérêt ici est d'accroître la capacité de survie de l’arsenal à courte portée et rendre plus vulnérables les bases américaines et sud-coréennes en Corée du Sud. La précision de ces nouveaux systèmes est la plus grande différence avec les armements plus anciens et traditionnels, au niveau de la DMZ (zone démilitarisée à la frontière entre les deux Corées) notamment. Ces systèmes de courte portée peuvent aussi poser de gros problèmes s' ils sont combinés avec des armes tactiques.

La Corée du Nord cherche ainsi à développer une technologie capable de mener des opérations secrètes, donc des missiles difficiles à détecter. Récemment, Kim Jong-Un affirme même son projet de construction d’un sous-marin à propulsion atomique.


Si le développement de l’équipement nucléaire et balistique de la Corée du Nord est indéniable, nous allons maintenant voir les intérêts sécuritaires et diplomatiques de développer une force nucléaire. L’intérêt militaire de la possession de l’arme nucléaire est double pour la Corée du Nord.



Aspect sécuritaire de l’arme nucléaire


Tout d’abord la dotation de l’arme nucléaire permet une force de dissuasion et d’autodéfense. En effet, dans le courant de la Guerre Froide, les Etats se sont rapidement rendu compte de la dangerosité de l’arme nucléaire, avec le concept de Destruction Mutuelle Assurée (MAD) et ainsi, son usage suscita rapidement de la peur. Dans le cadre de la Corée du Nord, on peut dire qu’on a affaire à une dissuasion existentielle, dans le sens où la seule existence des moyens nucléaires pourrait être de nature à dissuader l’ennemi. Pour ce faire, il faut d’abord faire connaître à cet ennemi l’existence de telles armes, ce qui justifie les essais nucléaires nord-coréens et sa politique médiatique sur la question, reposant donc sur une démonstration de puissance. L’intérêt est de susciter le doute, sinon la crainte, chez l’ennemi pour l’empêcher d’agir et de nuire au régime. L’arme nucléaire a donc un premier but de dissuasion de l’ennemi. Mais dans l’hypothèse où cette tactique échoue, l’arme nucléaire permet à la fois de se défendre contre les troupes ennemies mais aussi de répliquer face à celles-ci. On parle alors d’utilité en dernier recours, face à une défaite conventionnelle. Un arsenal nucléaire apparaît finalement comme le seul moyen de la Corée du Nord face à des pays aux capacités supérieures. De plus, on parle d’un pouvoir de négociation des armes nucléaires. Comme Jean-Louis Vichot l’a démontré, l’arme nucléaire dispose d’un pouvoir « égalisateur » qui annule les équilibres de puissance et permet aux pays les plus faibles de se faire entendre par les pays les plus puissants, qui les auraient coincés dans un schéma de coercition autrement. Les armes nucléaires sont des outils de marchandage diplomatique permettant à la Corée du Nord d’avoir un certain pouvoir en vue de négociations futures. Jin Mingzhe dit à ce sujet que la Corée du Nord entreprend une stratégie de normalisation, à savoir que les dirigeants souhaitent négocier d’égale à égale avec les autres puissances nucléaires « non pas sur sa propre dénucléarisation mais dans le but de dénucléariser l’ensemble de ces puissances ». Ce pouvoir de négociation est essentiel à la Corée du Nord, notamment pour obtenir des avantages, comme celui des aides alimentaires internationales, des levées des sanctions internationales, ou encore de l’usage du nucléaire civil.


Par ailleurs, il peut être mis en avant un dernier enjeu militaire des armes nucléaires, celui géopolitique de l’identité du régime nord-coréen. En effet, l’arme nucléaire fait désormais partie de l’identité du régime.


En 2001, George W. Bush initie le slogan de « l’axe du mal », et inclut la Corée du Nord dedans, appuyant désormais l’indiscernabilité du régime et de ses volontés militaires de se doter d’une arme de destruction massive. Cette expression nous amène à nous demander dans quelle mesure l’obtention de l’arme nucléaire permettrait à la Corée du Nord de se doter d’un rayonnement international militaire. D’un côté, cette appellation de l’Axe du Mal a permis un rapprochement de la Corée du Nord avec l’Iran et l’Irak, dans une moindre ampleur, avec des exemples de coopérations militaires, comme la vente d’armes, mais aussi des échanges scientifiques et commerciaux. La Corée du Nord possède ainsi une ambassade à Téhéran et inversement. Dans une plus grande mesure, la Corée du Nord affiche un soutien aux différentes républiques populaires dans le monde. Par ailleurs, la politique nucléaire a aussi permis à la Corée du Nord de se rapprocher avec le Pakistan, lui-même cherchant à acquérir des missiles. Le nouveau poids diplomatique acquis par la Corée du Nord lui permet aussi, dans une certaine mesure, de se positionner comme intermédiaire entre la Chine et les Etats-Unis, profitant de leurs oppositions pour obtenir des avantages. De plus, en vue du risque de prolifération nucléaire dans la zone indopacifique, le rôle de la Corée du Nord est réaffirmé et la menace de son arsenal nucléaire se renforce. Par ailleurs, plus que le développement d’armes, confirmer les essais à la scène internationale est une manière pour le régime de Pyongyang de défier l’ordre en place. Les essais de janvier dernier font donc suite, sans doute, à la mise en place de sanctions internationales par Biden contre la Corée du Nord en décembre dernier pour atteintes aux droits humains. C’est une manière pour le régime de réaffirmer son pouvoir de nuisance en montrant que les sanctions sont inutiles et inefficaces, et que le pays continuera le développement de ses capacités balistiques. C’est en quelque sorte remettre la communauté internationale devant son impuissance, et lui rappeler que son objectif de dénucléariser la Corée du Nord ne sera jamais atteignable, si il l’est, qu’aux termes de la Corée du Nord.

Maintenant que nous avons mis en avant les intérêts militaires et diplomatiques d’un arsenal nucléaire, nous allons maintenant mettre en avant l’aspect économique des enjeux nucléaires en Corée du Nord.



Aspect économique de l’arme nucléaire


Nous examinons la mesure dans laquelle l’arme nucléaire est efficace à un moindre coût. Comme nous avons pu le démontrer précédemment, la puissance militaire nord-coréenne est moindre dans la mesure où son équipement est largement dépassé et que son manque d’innovation technologique résulte en un retard d’efficacité. Pour rendre son armement efficace et générer une menace sur les acteurs régionaux et internationaux, il faudrait le rénover complètement. Remplacer les vieux modèles par des modèles plus récents, plus précis et possédant une plus grande force de frappe, coûterait néanmoins plus d’argent que la Corée du Nord n’en possède et serait une mission extrêmement longue. La solution « rapide » mais surtout la plus efficace, plutôt que de remplacer tout l’arsenal conventionnel est donc d’investir dans l’arme nucléaire et la recherche scientifique sur le sujet. En effet, le bénéfice sécuritaire est supérieur aux coûts engendrés par le programme de développement. C’est un choix stratégique sur ce point mais aussi pour les raisons citées précédemment, où l’arme nucléaire confère des avantages inédits au régime de Pyongyang.

Le second intérêt est que l’arme nucléaire permet une émancipation économique. De chaque côté de la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, des opérations militaires ont lieu, pour simuler des situations particulières. Chaque année, à la période des plantations et des récoltes de riz, les Etats-Unis et la Corée du Sud organisent des manœuvres aux abords de la DMZ pour accentuer les menaces contre la Corée du Nord et la forcer à convoquer ses soldats de réserve qui auraient autrement participé à l’agriculture. Ces opérations durant un pic de travail réduisent donc le capital humain productif pour mettre à disposition plus de soldats si jamais les menaces s’avéraient réelles, et mettent en jeu, par le même temps, la capacité d’autosuffisance alimentaire de la Corée du Nord. La capacité nucléaire permettrait au pays de réduire ses effectifs pour maximiser le nombre d’actifs, à cette période cruciale, mais aussi durant toute l’année. On peut aussi répéter que l’apport diplomatique de l’arme nucléaire permettrait à la Corée du Nord d’appuyer un soutien économique lors d’éventuelles négociations. Par ailleurs, on peut mettre en avant l’existence d’un « techno-nationalisme », qui permet au régime de mobiliser sa population malgré les pénuries alimentaires, en exacerbant la fierté nationale. De plus, la technologie nucléaire, cette fois dans l’ingénierie civile est essentielle au pays, qui connaît une crise énergétique. N’ayant pas exploré les pistes de gisements en Corée du Nord et ne disposant pas forcément des technologies nécessaires ou des infrastructures aménagées pour utiliser efficacement le charbon ou l’énergie hydraulique, elle se rend entièrement dépendante des exportations de Chine de pétrole. Ce pétrole arrive brut puis est raffiné et transformé sur le territoire pour être utilisé, dans la raffinerie de Ponghwa, à la frontière chinoise. Cependant, les importations étant limitées dans le cadre de sanctions internationales, l’apport en pétrole n’est pas suffisant pour répondre à une demande croissante, et les Nord-coréens se retrouvent par exemple sans électricité la nuit et seulement 26% de la population avait accès à l’électricité en 2016 selon l’AIE (Agence Internationale de l’Energie). Pour répondre à cette crise, il est nécessaire que le pays se dote de technologies énergétiques efficaces, comme le nucléaire.


Malgré ces enjeux multiples qu’on peut aisément attribuer à l’arme nucléaire, il apparaît aussi aisément qu’elle n’est pas suffisante pour assurer la survie durable et correcte du régime nord-coréen et de sa population. L’importance d’une ouverture économique se fait sentir depuis les années 90, et Kim Jong-Un cristallise la priorisation de la survie du régime. En effet, depuis son accession au pouvoir en 2011, le dirigeant suprême tente de libéraliser l’économie, malgré les contradictions que cela peut apporter vis-à-vis de l’idéologie initiale d’inspiration soviétique et communiste. Dès son premier discours en 2012, il annonce ainsi une nouvelle stratégie nationale visant à « concentrer toutes les énergies pour le développement économique ». Les premières années de la dictature de Kim Jong-Un ont permis d’améliorer les conditions de vie par une revitalisation du marché et une stabilisation des prix et de la monnaie. Kim Jong-Un, dans ce courant de marchandisation de l’économie, assouplit les juridictions du travail (notamment l’entreprenariat privé), et encourage par la même occasion la coopération intercoréenne. Cette coopération fut d’abord de gouvernement à gouvernement, puis entre les entreprises sud-coréennes au gouvernement nord-coréen, mais il faut encourager de plus en plus la coopération aux niveaux des particuliers, directement entre les entreprises. En effet, depuis la loi sur les sociétés de 2013, les investissements étrangers et le commerce international sont tolérés, et un contrat direct entre des entreprises des deux Corées devient donc possible, bien que mis à mal par le manque d’accord douanier.


De plus, des négociations sont en cours avec le président de la Corée du Sud sur la création d’un marché unique coréen, et d’un ensemble de projets communs, comme des complexes industriels, touristiques ou encore des axes de communication. Dans un premier temps, cette coopération coréenne semble être une stratégie efficace, mais Kim Jong-Un devra sans doute rapidement penser à négocier avec la communauté internationale pour lever les sanctions économiques qui contraignent le régime…



Conclusion


Pour terminer notre réflexion, il est intéressant de conclure avec la citation de Hervé Couraye, qui met en exergue l’importance du nucléaire pour le Juche : « tout dictateur qui ne veut pas périr ne doit pas abandonner son offensive nucléaire »… le nucléaire est indéniablement un facteur majeur de la survie du régime. Mais le régime de Pyongyang ne pourra pas survivre éternellement avec des habitants affamés, et doit trouver des moyens efficaces de faire face au problème chronique de l’alimentation, problème qui s’est aggravé à cause du covid. Ceci passe donc par un développement de l’économie, d’abord régionale, mais aussi par une levée des sanctions internationales, qui font obstacle à toute hypothèse de commerce international.



 

Pour aller plus loin :


Bruno TERTRAIS, « Le concept de dissuasion nucléaire », dans l’Arme Nucléaire, 2008, pages 29 à 66


Jean-Louis VICHOT, « Le feu nucléaire : une expression de la violence absolue ? », Inflexions, 2016/1 (N° 31), p. 23-28. https://www.cairn.info/revue-inflexions-2016-1-page-23.htm


« Programme Corée sur la sécurité et la diplomatie ; entretien avec Jo Dong-ho », Fondation pour la Recherche Stratégique, 2019 https://frstrategie.org/sites/default/files/documents/programmes/programme-coree-securite-diplomatie/publications/2019/4.pdf


Paul VERONIQUE, « Corée du Nord : pourquoi rien n’arrête l’infatigable course aux armements de Kim Jong-Un », 20/10/2021, https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/coree-du-nord-pourquoi-rien-n-arrete-l-infatigable-course-aux-armements-de-kim-jong-un_2160791.html


Hervé COURAYE, « la Corée du Nord : décryptage géostratégique »


Guylain DE MIRANDOL, « Stratégie. Nucléaire nord-coréen : fin de partie ? », Diploweb.com : la revue géopolitique, 11 mars 2017


Alexis BEDOS, « La Corée du Nord : l’émergence d’une puissance nucléaire et les impacts sur la géopolitique », Mémoire d’étude de Master 2 Ingénierie et Management en Sécurité Globale Appliquée, promotion 2017-2018 https://www.geostrategia.fr/la-coree-du-nord-les-enjeux-de-lemergence-dune-puissance-nucleaire/


Antoine BONDAZ, « Corée du Nord : une crise nucléaire à épisodes », Parole d’expert, 03/09/2019 https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/269997-coree-du-nord-une-crise-nucleaire-episodes



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