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  • Lea Raso Della Volta

Le gaz israélien, une nouvelle donne en Méditerranée orientale

Avec le conflit en Ukraine, une nouvelle physionomie de la Méditerranée orientale se dessine. L’Europe, menacée de pénurie de gaz, souhaite se tourner vers Israël qui possède dans sa zone économique exclusive d’importantes ressources qui permettent d’envisager d’approvisionner le marché européen. La Turquie qui avait pris ses distances avec l’État hébreu a proposé sa participation à l’élaboration d’un pipeline qui pourrait alimenter l’Europe via la Turquie. Mais de nombreuses incertitudes planent sur la réalisation du projet EastMed.


 

Israël, un nouvel Eldorado gazier


La découverte inopinée en janvier 2009, du gisement de Tamar, recelant 250 milliards de m³ à 80 km au large d’Haïfa, a permis de révolutionner la situation énergétique du pays, qui jusque là recourait aux importations pour répondre à sa demande énergétique, y dépensant 5 % de son PIB.


En 2010, c’est au tour du plus grand gisement gazier offshore de ces dix dernières années, à 135 km au large d’Haïfa, qui peut faire l’objet d’une exploitation à grande échelle. Le gisement du Léviathan recèle une quantité de gaz estimée à 16 trillions de barils, soit 450 milliards de m³, ce qui met Israël à l’abri du besoin en gaz pour les cent prochaines années. Ainsi, le ministre Développement du Néguev et de la Galilée, de l'Eau et de l'Énergie et de la Coopération régionale, Silvan Shalom, avait annoncé que l’événement marquait le jour de l’indépendance énergétique pour Israël.

Le gisement de Tamar a livré sa première cargaison en mars 2013. Le gisement baptisé Léviathan a débuté sa production entre 2016 et 2017. L’exploitation de la totalité des ressources nécessitera de gros investissements dans le forage des puits offshore, mais également dans l’acheminement de la ressource (construction de pipelines ou liquéfaction du gaz pour le transport par bateau). Une réserve chiffrée à environ 1.000 milliards BCM (milliard de mètres cubes) qui intéresse potentiellement l’Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.



Le gaz, un enjeu géopolitique


Les questions énergétiques se mêlent à la géopolitique. Ces découvertes n’ont pas manqué de créer quelques remous. Le Liban n’a jamais signé de traité de paix avec Israël. Depuis 1948, les deux États sont toujours formellement en guerre.

Il réclame la souveraineté sur une part du gisement de Léviathan, qui est situé dans la Zone économique exclusive (ZEE) israélienne, en accord avec les dispositions de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, délimitant un espace de 200 miles marins soit environ 370 kms, à partir des côtés de l’Etat en question. Une convention qui a été signée et ratifiée par le Liban.


Cependant, le Liban conteste le principe de la ZEE, puisqu’il conteste l’existence même de l’ État d’Israël, pourtant fruit du droit international. Selon lui, la frontière entre les deux ZEE n’a pas de fondement légal et ne résulte d’aucun accord entre les deux États. Le Liban considère ainsi que les champs gaziers de Tamar et du Léviathan sont issus d’une poche de gaz située dans le sous-sol du territoire maritime libanais.


De même, à l’annonce de la découverte, en 2012, Vladimir Poutine, en tant que VRP de Gazprom, alors premier exportateur de gaz au monde, et craignant que la présence de ce nouveau fournisseur ne fasse chuter le prix du gaz, a proposé aux Israéliens la participation de Gazprom à l’exploitation du site du Léviathan. En réalité, Moscou avait tout intérêt à ce que les gisements en Méditerranée orientale demeurent sous-exploités.

Avigdor Lieberman, alors ministre des Affaires stratégiques, a préféré confier à la compagnie australienne Woodside, la réalisation de l’exploitation conjointement à Noble Energy, Delek et Ratio Oil Exploration. Depuis la guerre de Kippour en 1973 et l’aide apportée par Moscou aux pays arabes, Israël se défie de la Russie, dont les bâtiments de guerre présents en Méditerranée orientale captent les communications israéliennes.



Eastmed, ou la naissance d’un triangle énergétique : les nouveaux partenariats


C’est un projet qui a été chiffré à près de six milliards d'euros et pourrait prendre du temps à se concrétiser, car il nécessite de gros moyens financiers.

D’une longueur d’environ 1870 kilomètres, l’EastMed, dont le pipeline sera en grande partie sous-marine, doit permettre de transporter entre 9 milliards et 11 milliards de mètres cubes (m3) de gaz naturel par an depuis les réserves offshore au large de Chypre et d’Israël vers la Grèce, puis vers le reste de l’Union européenne.


Allié de toujours, Israël s’est tourné vers Chypre pour monter ce projet d’envergure. En plus d’être elle-même un État membre de l’Union européenne, la partie grecque de l’île a également l’avantage d’avoir découvert à son tour un gisement de première importance dans ses eaux territoriales. Présenté en 2011, le gisement Aphrodite donnerait effectivement accès à des réserves de gaz naturel comprises entre 140 et 230 milliards de mètres cubes, pour compenser les importants coûts de construction d’infrastructures en Méditerranée orientale.

En 2018, un accord de coopération a été signé entre Le Caire et Tel-Aviv pour l’exportation du gaz israélien vers l’Égypte pendant plus de dix ans. Depuis janvier 2020, l’Égypte reçoit aussi du gaz en provenance du gisement Léviathan via le gazoduc sous-marin EMG qui relie les villes d’Ashkelon en Israël et d’ El-Arich en Égypte.

Membre de l’Union européenne depuis 2004, mais isolée du reste du continent par sa situation insulaire, la République de Chypre s'est associée aux richesses permettant l’exploitation et l’exportation de ces ressources. En septembre 2018, Chypre et l’Égypte, ont signé un accord pour l’installation d’un pipeline sous-marin, permettant l’acheminement de gaz depuis le gisement d’Aphrodite jusqu’aux usines égyptiennes, avant d’être réexpédié vers l’Europe.

Dès 2013, le projet d’EastMed Pipeline (gazoduc de Méditerranée orientale) prévoyant de relier Israël et Chypre à la Grèce puis à l’Italie par voie sous-marine est identifié comme faisant partie de l’intérêt commun pour une Commission européenne qui espère pouvoir en tirer un apport d’au moins 10 milliards de mètres cube par an à l’horizon 2025.


Même si l’Italie ne fait pas partie du triangle initial, Rome a toujours exprimé son intérêt à rejoindre le projet. L’invasion russe en Ukraine contraint l’Italie à revoir sa dépendance au gaz russe, et pourrait relancer le plan du gazoduc EastMed. Aussi, Mario Draghi s’est rendu au mois de juin 2022 en Israël, en vue d’une coopération gazière bilatérale sans pour autant lever le voile sur la route que pourrait emprunter le gaz israélien pour rejoindre l'Italie. « Nous travaillons ensemble afin d'utiliser les ressources gazières de la Méditerranée orientale et pour développer des énergies renouvelables. Nous voulons réduire notre dépendance au gaz russe », a-t-il déclaré aux côtés de Naftali Bennett.


Le chantage de Moscou sur le gaz inquiète l’UE, et la présidente Ursula von der Leyen en Israël a déclaré que l'Union européenne explorait « actuellement des voies pour renforcer (sa) coopération énergétique avec Israël », citant un projet de câble électrique sous-marin reliant l'État hébreu, Chypre et la Grèce et un « pipeline » en Méditerranée orientale.

L’administration américaine, initialement favorable au projet, s’est désengagée du projet : « Les États-Unis soutiennent désormais des projets tels que l’interconnexion électrique sous-marine EuroAfrica, qui reliera l’Égypte à la Crète et à la Grèce continentale, ainsi que le projet d’interconnexion EuroAsia, qui reliera les réseaux électriques israélien, chypriote et européen ». Mais la véritable raison est économique et l’administration Biden a jugé son coût trop élevé.



Eastmed et le retour d’Ankara


Avec la guerre en Ukraine, on assiste à une redéfinition des partenariats et le gaz est au centre des nouveaux enjeux. Le projet EastMed a été présenté comme une manœuvre tripartite pour contrer les velléités d’Ankara de s’implanter en Méditerranée orientale. Les trois pays ayant des différends avec la Turquie qui par la voix de son ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a rappelé : « Tout projet négligeant la Turquie, qui possède le plus long littoral de la Méditerranée orientale, ainsi que les Chypriotes turcs, qui ont les mêmes droits sur les ressources naturelles de l’île de Chypre, ne peut aboutir. Nous portons une fois de plus ce fait à l’attention de la communauté internationale. »

Depuis quelques mois on assiste à un « réchauffement » des relations turco-israéliennes. Ankara qui a accueilli au mois de mai, le Président Isaac Herzog.

Le pipeline sous-marin israélo-turc, dans l’hypothèse où il serait construit, ferait 600 kilomètres de long, avoisinerait un coût estimatif de 2 milliards de dollars. Ce serait le canal d’exportation le plus utile pour le projet Léviathan, et le coût du pipeline pourrait être remboursé dans les 2-3 ans, en tablant sur des ventes de gaz brut de 10 milliards de m3 par an sur une période de 7-8 ans. Mais un tel projet, à la logistique complexe et coûteuse, semble difficilement réalisable aux yeux des experts. Aussi, tous s’accordent à dire que toutes les options doivent être mises sur la table.


Ce dont rêve la Turquie, c’est d’acheminer le gaz israélien vers l’UE. Ce qui permettrait de jouer le rôle d’intermédiaire et de s’affirmer en puissance régionale incontournable. Mais aussi, en cette période préélectorale de regagner la confiance des électeurs qui souffrent de la crise économique qui secoue le pays.

Le 9 août 2022, la question du gaz a connu un nouveau rebondissement, puisque la Turquie a lancé des manœuvres en vue de forages dans les eaux territoriales chypriotes et qui ne sont pas sans rappeler celles qui s’étaient déroulées jour pour jour en 2020.

La Turquie traverse une crise économique importante et afin d’assurer sa réélection en 2023, le Président turc, souhaite détourner l’attention de sa population et faire croire qu’il apporte des solutions à l’hyperinflation et à l’envolée des prix du gaz en allant en chercher en mer », estime t-il. En juillet, la Turquie affichait un taux d’inflation de 79 % en un an.



Conclusion


EastMed reste une option pour l’Europe et sans doute, il s'impose comme une nécessité au vu des événements et du chantage russe sur le gaz. Néanmoins, son coût reste élevé, comme l’a souligné Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat des affaires politiques :« Nous considérons qu'il est trop cher, sans viabilité économique et qu'il prendra trop de temps », a résumé la sous-secrétaire d'Etat des Affaires politiques américaines, Victoria Nuland, à l'issue d'une rencontre à Nicosie avec le président chypriote. Mais face à la pénurie qui s’annonce et à la demande croissante, Washington pourrait être amené à revoir sa décision. Cela demeure donc une affaire à suivre.



Bibliographie



Blanchard, C, Stratégie indirecte en Méditerranée orientale, in : Revue Défense nationale, 2021/HS3 (N° Hors-série), pp. 83- 88.

Laroche, M, Le gaz : nouvel enjeu géopolitique en Méditerranée orientale, in : Vie publique France, octobre 2021.

Kabis-Kechrid, L-L, Conflits en Méditerranée orientale : des stratégies contradictoires à la double approche de l'Allemagne et de la France, in : Ifri, 3 septembre 2021.

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