- Lea Raso Della Volta
Le Djihad islamique, un « proxy » de Téhéran
Israël vient de mener des attaques contre la bande de Gaza, objectif visé le Djihad islamique, une action préventive contre le groupe armé terroriste qui s’apprêtait à commettre des attentats en territoire israélien, suite à l’arrestation de l’un de ses chefs en Cisjordanie.
Le Djihad islamique figure sur la liste des organisations terroristes dressées par le FBI et l’Union européenne. Un bref rappel historique suffit à rappeler que les Occidentaux au même titre que les Israéliens ont toutes les raisons de le craindre.
Les deux actions spectaculaires imputables au djihad demeurent l’attentat de l’ambassade des États-Unis à Beyrouth en 1983, d’une violence extrême ; l’ex-agent de la CIA Robert Baer, relate dans son ouvrage que celle-ci s’est soulevée de ses fondations de plusieurs mètres, et l'onde de choc fut telle que les bâtiments de la marine américaine, au large, furent secoués par le souffle de l’explosion.
L’attentat contre l’ambassade de France à Beyrouth en 1982 a eu un mode opératoire à peu près identique au précédent.
Dans les deux cas, ces attentats ont frappé des puissances présentes sur le territoire libanais et qui gênent les intérêts et les actions de la République Islamique d'Iran (RII) qui vise à court terme à prendre le leadership de la région. Mais la principale cible du groupe Djihad islamique demeure Israël, qui a eu à subir de nombreux attentats revendiqués par l’organisation.
Le Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, a affirmé que les relations entre le groupe et Téhéran se sont renforcées : « Le chef du djihad islamique (Ziad al-Nakhala) est à Téhéran au moment où nous parlons ». Une déclaration qui visait à démontrer que l’organisation est bien aux ordres de Téhéran.
Le groupe « Djihad islamique », une façade pour l’Iran ?
Dans son ouvrage sur la CIA, Robert Baer a mis en doute l’existence même du Djihad islamique ; il avait retenu l’idée, qu’il pourrait s’agir d’une coquille vide modulable selon les intérêts de son donneur d’ordre : la RII.
Il apparaît que l’organisation est bien liée à l’Iran et se présente comme l’un des nombreux fers ou proxy qui constituent ce que Téhéran définit comme étant l’axe de la résistance contre Israël, mais pas uniquement, puisque les Occidentaux et certains pays arabes sont visés par leurs actions.
Pour désigner ces mandataires de la Républiques islamique, on utilise le terme de proxy qui est emprunté au vocabulaire informatique, mais qui est néanmoins porteur de sens en géopolitique.
En effet, le proxy est un composant logiciel informatique qui joue le rôle d'intermédiaire en se plaçant entre deux hôtes pour faciliter ou surveiller leurs échanges. Le Djihad islamique n’est pas le seul à jouer ce rôle d’intermédiaire entre le pouvoir iranien et le terrain. Le Hezbollah est chargé de mener des actions à partir du sud du Liban, contre le territoire israélien, quant au djihad et le Hamas, ils sont surtout présents à Gaza.
Ces proxies bénéficient de l’appui logistique de la Brigade Al Qods qui chapeaute ces milices proches du pouvoir iranien, tout en devenant le bras armé de l’Iran.
Pour reprendre les termes de Morgan Paglia et Vincent Tourret, « cette stratégie repose sur un mélange unique de milices organisées sur le modèle du Hezbollah que Téhéran appuie avec des capacités de combat conventionnelles (missiles balistiques, drones…) ou spéciales (cyber, action clandestine, renseignement). L’appui iranien se manifeste également par la transmission d’un savoir-faire éprouvé par quarante ans d’action extérieure au Moyen-Orient et en Asie. Le principal architecte de cette politique a longtemps été la force Al Qods dont la tâche est de coordonner et d’appuyer l’action des milices »
Ces proxies permettent à l'Iran de mener une guerre par procuration, sans avoir donc, à s’impliquer militairement en engageant Artesh (l'armée régulière de la RII) et risquer une riposte directe, contre son territoire.
Au lendemain d'une série de tirs de roquettes depuis le territoire de Gaza, et la reprise de frappes israéliennes, Yaïr Lapid a déclaré : « Le Djihad islamique est un supplétif de l'Iran qui veut détruire l'Etat d'Israël et tuer des Israéliens innocents. (...) Nous ferons tout ce qu'il faut pour défendre notre peuple ».
Des actes terroristes prévus le jour de Tisha beav
97% des 585 projectiles lancés depuis Gaza ont été interceptés par le bouclier anti-missiles « Dôme de Fer ». Certains tirs étaient dirigés vers Jérusalem alors que des centaines d’Israéliens sont rassemblés dans la Vieille Ville, à l’occasion de la fête juive de Tisha beav.
La date prévue pour les actes du Djihad islamique est très symbolique, puisqu'elle commémore la Chute du Premier Temple de Jérusalem qui préfigure la déportation des Juifs à Babylone. Soit le 9 du mois de Av.
Le symbole choisi pour tenter de frapper Israël par l’Iran n’est pas fortuit, car il marque la chute du premier Temple, détruit par les Perses. Les attaques du Djihad devaient-elle préfigurer la destruction de l’État d’Israël ? Il s'agit en tout cas de l'objectif avoué de l’organisation.
Cette commémoration est un jour de deuil, puisqu’elle a été instituée par des prophètes pour pleurer la chute du premier Temple de Jérusalem ; il commémore ensuite une série de calamités nationales pour le peuple juif, dont la destruction du second Temple de Jérusalem, les persécutions des Juifs lors des croisades, l’expulsion des Juifs d’Espagne et, plus récemment, la Shoah.
Les analystes sont assez peu ouverts au symbolisme ; pourtant, il faut bien l’admettre, au Moyen-Orient, le cartésianisme n’est pas la règle.
Conclusion
Si la flambée de violence prévue est présentée par les médias comme consécutive à l’arrestation d'un chef du Jihad islamique en Cisjordanie lundi dernier, en l’occurrence Bassam Saadi, responsable du Jihad islamique en Cisjordanie, il convient de replacer les actions du Djihad islamique dans la stratégie globale de l’Iran au Proche-Orient qui aspire au leadership dans la région.
La question d'Israël et les tensions liées sont un moyen pour l’Iran de fédérer autour de lui la rue arabe, tout en sortant de l’isolement dans lequel la religion chiite le place, ainsi que sa non-appartenance au monde arabe qui en fait un motif de défiance.
La rencontre du 19 juillet 2002 à Téhéran, entre Moscou et Ankara, lui a indubitablement donné un regain d’importance, comme le prouve son véto à l’action que souhaitait mener Ankara dans le nord de la Syrie, contre les combattants kurdes. Un sommet qui n’a pas manqué de remettre Téhéran dans la course au leadership dans la région.
Bibliographie
Baer, R, « La chute de la CIA, mémoire d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme », Gallimard, 2003
Lema, L, « Ces réseaux régionaux qui décuplent le pouvoir », in : Le Temps, 7 janvier 2020
Paglia, M, Tourret V, « L'Iran et ses “proxys” au Moyen-Orient. Les défis de la guerre par procuration », Ifri, Focus stratégique, n° 95, mars 2020
« L'Iran ou la guerre des proxies : vers une culture publique de la sécurité informatique ? » in : Fondapol, 2 décembre 2009