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  • leadellavolta

Le Black Bloc, la quête d'un monde nouveau




Leurs silhouettes noires s’invitent dans les cortèges de manifestation. Les membres du Black Bloc ont commencé à occuper le devant de la scène le 1er mai 2018, en s’emparant de la tête de manifestation. Souvent vilipendé en raison de la violence, leur message, le rejet du capitalisme coupable à leurs yeux d’oppression, de piller les ressources naturelles, et de mener la planète à sa perte, par la démesure, l’hubris des anciens Grecs Ni Dieu ni Maître, mais à la recherche d’un monde nouveau.


Ils sont anarchistes, anti fascistes, antispécistes, végans, écologistes et constituent un bloc, car ils aspirent à hâter l’avènement d’un nouveau monde qui passe par la destruction de l’ancien, cela pourrait résumer l’idée qui préside à la constitution du black bloc que les media réduisent à des groupes d’individus souvent violents.

Comme l’expliquait l’un de mes étudiants, loin des stéréotypes de l’individu violent, mais néanmoins très politisé : « n’importe qui peut intégrer un bloc, il n’y a pas de définition type de la personne. Il suffit juste de vouloir faire passer un message, d’avoir une cause à défendre ».

Le Black bloc n’est pas un mouvement ni un groupe mais une tactique de lutte contre les forces de l’ordre et qui vise à s’en prendre aux symboles du capitalisme et de l’État accusé d’exercer une violence constante sur les citoyens. Par conséquent, il est plus juste de parler "d'un black bloc" et non pas "des black blocs".

Ce mode d’action est apparu pour la première fois dans les années 1980 dans l’ex-Allemagne, plus précisément à Berlin-ouest. Lors de manifestations étudiantes contre le nucléaire et les néonazis, des regroupements autonomes en tenues sombres ont été surnommés schwarze block par la police allemande qui voulait les déloger du squat qu’ils occupaient. Dans les années 1990, à Seattle, Gênes en 2001, où l’un des membres du bloc, Carlo Giuliani a été tué par les carabinieri.


Les media présentent les membres comme appartenant tous à la mouvance anarchiste à l’ultra gauche, c’est en partie exact, mais quelque peu réducteur, car comme l’a montré Francis Dupuis-Deri, d’autres blocs au cours des dernières décennies se sont constitués en fonction des affinités et de fait, les groupes d'affinités sont à la base de la constitution d’un bloc.


L’art du transformisme


Ils sont le cauchemar des forces de l’ordre et ce quel que soit l’endroit de la planète, en raison du fait qu’ils utilisent les réseaux sociaux pour communiquer et sont par conséquent très mobiles, y compris sur le terrain d’action, souvent au cœur des villes, où ils sont passé maîtres dans l’art de la guérilla urbaine mais aussi en rase campagne, comme ce fut le cas à Notre Dame des Landes où à Sainte Soline.

Et sur le terrain, la tenue des forces de l’ordre tourne à leur désavantage, trop lourde alors qu’en face la panoplie du membre du bloc se réduit à son strict nécessaire.

Mais dans la technique du bloc, qui caractérise son mode d’action, il y a la capacité à se transformer. De simples manifestants, en quelques minutes, en se servant de leurs compagnons de lutte comme paravent et au cœur de la manifestation, ils troquent leurs tenues pour une tenue noire, un masque, des lunettes pour se protéger du gaz lacrymogène, mais aussi pour masquer leur identité.

L’idée de départ est de s’habiller en noir et de se disperser dans un cortège selon la technique du coucou. Lorsque le signal est donné, ils se rassemblent et forment ce fameux drapeau noir. L'objectif principal est de donner à la presse des images à diffuser. Le fait de se regrouper masqués, tout en noir et en bloc, c’est tout de suite très impressionnant.

Dans une manifestation, le black bloc s’infiltre et se forme rapidement dans la manifestation, ensuite il va tenter de se séparer du cortège, l’objectif étant d’atteindre plus facilement les cibles visées.

Au moment des actions, ils peuvent se diviser en petits groupes pour saturer les services d’ordre, puis ils se rassemblent à nouveau en bloc pour assurer une défense de manière solidaire. Cette recomposition perpétuelle est un défi pour les forces de l’ordre, plus habitués aux casseurs traditionnels qui se dispersent après leurs actions et qui sont donc plus faciles à arrêter car ils sont seuls ou peu nombreux". Le black bloc n’existait pas avant la manifestation et il disparaît lorsqu'elle se termine, c'est un phénomène ponctuel et éphémère. Les personnes qui le composent ne sont pas forcément les mêmes d’une manifestation à l’autre.


Si le noir est bien le symbole de l’anarchisme, il préserve l’anonymat des participants et permet de ne pas être identifié par les forces de police et de ne pas favoriser l’individualisme, car il n’y a pas de chef ni de hiérarchie dans le bloc, si tel était le cas, il serait possible de l’infiltrer.



Donner une image de solidarité


Comme l’affirmait Marshall Mc Luhan, le moyen ou medium est un message. Une idée reprise par Francis Dupuy-Déri Avec le black bloc, la cible est le message, mais lui-même délivre un message. L’éthos ou la présentation de soi. Une image de Robin des bois qui se veut proche du peuple, comme le précise ce tract de revendication dans un mcDo :

« Nous attaquons des emblèmes des entités matérielles et non des individus. Le mobilier n’est pas humain, il ne s’agit que d’argent. Ces actions replacent l’humain comme valeur fondamentale. S’il s’agissait d’un –e SDF plutôt que d’une vitre, vous ne l’auriez sûrement même pas remarqué. Pourtant plus de 2000 personnes décèdent dans la rue. »

Il y a cette volonté de recréer le village global, en recréant les solidarités, car ainsi que l’avait prophétisé l’universitaire canadien, au tout début des années 1970, le monde deviendrait un immense village, grâce aux nouvelles technologies, qui en étaient alors qu’à leurs balbutiements, et « où l'on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un même espace ».

La capacité, pour une personne, à récupérer des informations très rapidement en n’importe quel point de la planète raccordé à un réseau donne l’impression d’être dans le même endroit virtuel, dans le même village.

Aussi, par l’action le black bloc, souhaite convaincre, mais aussi « aider les gens à se prendre en main et à développer le sens de la solidarité, de se mobiliser pour résister aux différents systèmes de domination et de militer pour améliorer les conditions de vie entre camarades et celles des populations défavorisées ici et maintenant. »

De fait, depuis son avènement internet, l’information et les mobilisations favorisent cette apparition collective.

A travers leur action, il y a donc un message qui est délivré à l’adresse des autorités, mais aussi des spectateurs, l’ivresse de l’émeute ne fait pas perdre de vue ce que l’on souhaite faire passer, aux spectateurs par le biais des media, Erving Goffman parle de présentation de soi à travers la rue qui devient un immense théâtre où se déroule un spectacle.

Lors des manifestations des Gilets jaunes, ces derniers ont fait une haie d’honneur au black bloc, sous les applaudissements.


L’une des valeurs est la solidarité, et l’on revient de facto à la définition même du « bloc » in solidum, où aucune individualité ne se distingue, où il n’y a pas de chef, mais juste des individus mus par une même action et liés entre eux, par la solidarité du groupe. Ce sentiment de bloc et de solidarité est accentué par la réduction de la proxémie sociale. Une notion développée par Edward.T. Hall, apporte une signification inconsciente pour le spectateur qui le traduit pas une solidarité, un lien entre les membres, d’où l’emploi de l’expression : les blacks blocs.

Ils vont construire un ethos, une présentation de soi, imposer une image aux antipodes de celle qui est construite l’État construit. Apparaître comme des Robins de bois d’un nouveau genre.

Les membres du black bloc vont aussi utiliser la solidarité sur le plan défensif. Ils tentent par exemple de libérer les personnes arrêtées ou essayent de percer un encerclement de policiers : Cette volonté de déjouer les tactiques des forces de l’ordre existe aussi quand les membres du bloc les empêchent de diviser le cortège pour isoler une partie des manifestants, notamment en investissant largement les trottoirs et les espaces sur les côtés du cortège.

L’image qu’ils souhaitent donner, par-delà leur relative diversité, c’est la solidarité qui unit les participants à un black bloc ont des dénominateurs communs qui leur donnent la possibilité d’agir ensemble.


L’appartenance et la démonstration du modèle tribal


A travers ce modèle, ce qui est mis en avant, c’est la notion de force. Comme l’a mis en avant, Gustave Le Bon la foule n’est pas seulement impulsive et mobile. Comme le sauvage, elle n’admet pas d’obstacle entre son désir et la réalisation de ce désir, et d’autant moins que le nombre lui donne le sentiment d’une puissance irrésistible. Pour l’individu en foule la notion d’impossibilité disparaît. L’homme isolé sent bien qu’à lui seul il ne pourrait incendier un palais, piller un magasin : la tentation ne lui en vient guère à l’esprit. Faisant partie d’une foule il prend conscience que lui confère le nombre ».


L’autre message envoyé est celui de l’appartenance à une tribu qui s’accomplit à travers ce lien rituel mais aussi de représentation du corps collectif une image globale une impression générale produit d’elle-même la communauté durant le rite.

Pascal Lardellier introduit un élément de définition du rite, qu’il entend comme un contexte social particulier, instauré au sein d’un dispositif de nature spectaculaire ».

Creuset, ferment et vecteur, le rite est une forme de liant social qui donne sa pleine dimension et toute sa substance à « l’être ensemble » et permet d’appartenir à une communauté.

Il crée la notion hybride : « appar-être » un idéal qui s’incarne dans le black bloc et qui exerce une fascination sur le récepteur du message, car l’on touche au domaine de l’interdit. Ils se caractérisent par une impossibilité à être vu, ils apparaissent et disparaissent pour devenir à nouveau « Monsieur tout le monde », ce qui suscite bien des fantasmes.



Conclusion


Un commissaire divisionnaire s'interrogeait sur les raisons de la sympathie d’une partie de la population pour ce qu’il appelait l’ultra gauche. La raison est simple, ils portent sans doute la part d’idéal, voire d’utopie que nous avons en nous.

Le rejet de l’État et leur refus de ce que Max Weber appelait la violence légitime qui fait référence au monopole dont il dispose pour le maintien et le rétablissement de l’ordre.

Pour lui « l’État est une entreprise publique à caractère institutionnel, lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime ». Ce monopole résultant aussi de fait que les sujets consentent par tradition ou un désir d’égalité à ce que celui-ci soit le seul à pouvoir exercer une violence sur son territoire, de façon légitime en s’appuyant sur les forces de polices, militaires ou juridiques.

L’anarchisme, et le courant libertaire, dont se réclament les différents blacks blocs sont à l’opposé de cette doctrine, puisqu’ils prônent la liberté individuelle, ou citoyenne, face à l'État comme valeur fondamentale et qui de ce fait rejettent toute forme d'autoritarisme politique dans l'organisation sociale ou la vie privée.



Bibliographie

Dupuis-Déri, F, Le Black Bloc, éditions Lux, Québec, 2019.

Hall, E, La dimension cachée, éditions du Seuil, 1971.

Goffman, E, La mise en scène de la vie quotidienne, éditions Minuit, 1973.

Lardellier, P, La théorie du lien rituel, L’Harmattan, Paris , 2003.

Le Bon, G, La psychologie des foules, éditions Payot, 2020.

Maffesoli, M, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, éditions de la Table ronde, Paris, 2020.

Weber, M, Le savant et le politique, éditions 10/18, 2020.


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