- Lea Raso Della Volta
La "Mocro Maffia" : Un conglomérat de gangs ou une proto-mafia ?
A la suite de multiples arrestations, homicides et trafics, le procès Marengo, ouvert depuis 2019 aux Pays-Bas, doit déterminer la culpabilité de Redouane Taghi, et son implication dans les multiples crimes commis au nom de l'organisation de la Mocro Maffia. Malgré ce nom, cette structure criminelle échappe encore aux définitions les plus strictes d'une mafia, et mérite de se pencher sur son histoire et ses méthodes.
Le procès Marengo, qui doit juger les responsables de la Mocro Maffia, parmi lesquels figure Redouane Taghi, accusé de nombreux crimes, doit se conclure dans les prochain jours. Celui que l’on surnomme le « Capo », doit répondre à plusieurs chefs d’accusation, et notamment de son implication dans de multiples meurtres commis sur le territoire néerlandais, mais aussi, de liens présumés avec les Gardiens de la révolution islamique et d’assassinats d’opposants au régime des ayatollahs.
Les révélations d'un ancien membre du clan Taghi, Nabil Bakkali, ont permis l’arrestation de ce chef charismatique de la Mocro, et la tenue de son procès. Mais d’ores et déjà, on sait, qu’à l’issue de procès fleuve, qui a débuté le 10 juillet 2019 et qui s’achèvera en 2022, il n’y aura aucune avancée dans la compréhension du fonctionnement de la Mocro Maffia, car personne ne parle, de peur de représailles.
Le terme de Mocro Maffia a été forgé par les médias belges et néerlandais, en référence à l’origine ethnique des membres qui la composent, même si les Marocains ne sont pas les seuls, puisque les Surinamais et Antillais y figurent en bonne place. Pour la désigner, on trouve également le néologisme Borgerokko Maffia, qui allie en un seul mot le quartier de Borgherout, dont sont issus ces gangs et « okko » qui est la terminaison du mot « marokko ».
On peut distinguer deux périodes dans l’évolution de la Mocro Maffia, la première qui va de 2012 à 2015 que l’on peut caractériser de Mocro oorlog (Mocro guerre) et de 2015 à nos jours, où elle est qualifiée de Mocro Maffia, en raison d’un début de structuration qui la rapproche des mafias européennes. La première période est marquée par l’activité de ses bandes sur le port d’Anvers, où les différents gangs se livrent à une bataille féroce pour s’emparer du leadership du trafic de cocaïne. On assiste à une vague de meurtres, où les têtes de gangs sont liquidées, les unes après les autres. Dès 2015, la violence sembla changer de nature avec l’apparition d’une figure charismatique » qui émerge de cette lutte de gangs, Redouane Taghi. Dès cette date, il apparaît comme le chef de l’organisation qui dès lors prend le nom de Mocro Maffia.
L’objet de cet article est de démontrer que la Mocro Maffia n’est pas une mafia, en dépit de son nom, qui est sujet à caution, car il n’émane pas de criminologues, mais de journalistes, qui par commodités langagières l’ont qualifiée de mafia.
La trajectoire de la Mocro Maffia indique, à la base, que l’on a affaire à un conglomérat de gangs, impliqués dans le trafic de stupéfiants, qui va évoluer vers une structure unique et de type proto-mafieux, mais dont l’activité criminelle principale est toujours liée au trafic de drogue.
De La Mocro Oorlog à la Mocro Maffia, une guerre sur fond de trafic de drogue
Les criminologues néerlandais parlent d’une guerre (oorlog), où les membres d’une même communauté sont impliqués, et appartiennent à une mafia ethnique. Ce qui pourrait apparaître comme un simple glissement d’ordre sémantique, traduit une évolution qui se caractérise par le passage à un banditisme qui s’est structuré en gangs autour du trafic de drogue et qui puise sa source dans la banlieue des grandes métropoles néerlandaises et qui au fil des années est devenu une ébauche de mafia, avec ses méthodes répressives et la loi du silence qu’elle a imposée à ses membres.
La Mocro Oorlog à l’heure des guerres fratricides
L’année 2012 a vu l’émergence de gangs, de jeunes issus du quartier immigré d’Anvers sur fond de trafic de drogue. Tout commence, officiellement, lorsqu’un cartel colombien, avec la complicité d’un employé du port d'Anvers, introduit 200 kilos de cocaïne qu’il comptait revendre à Benaouf Adaoui, chef d’un gang anversois.
Mais l’employé du port appartenait au gang de Benaouf Adaoui. Il trahit le cartel et informa un autre gang marocain, « les Tortues », de l’arrivée imminente d’une cargaison de drogue. Les Tortues avaient à leur tête Gwenette Martha qui vola la cargaison.
L’employé du port raconta alors aux Colombiens et à Benaouf que la cargaison avait été saisie par les Douanes.
Mais les Colombiens feignent de croire à leur version des faits. Et ce, pour une bonne raison, les narcotrafiquants connaissent les usages des Douanes, qui à chaque saisie de drogue ont pour règle de communiquer. Or, rien de tel n’avait eu lieu. De plus en plus sceptiques, les Colombiens mirent leurs contacts anversois sur le coup. Ces derniers ne tardent pas à repérer une bande de petits voyous d’origine marocaine qui se déplaçaient en voitures de luxe.
Ces novices du crime organisé vendirent la cocaïne volée tout en affichant une aisance aussi soudaine qu'ostentatoire. Confiants en leur bonne étoile, ils ne prirent pas la peine d’apposer leur logo sur les paquets de drogue qu’ils revendaient et qui portaient encore l’emblème du cartel. Preuve évidente de la grande naïveté des membres du gang des Tortues.
En avril 2012, le couperet s'abat sur le gang des Tortues et les membres du cartel colombien bloquent toutes les issues du quartier de Borgherout, dont étaient originaires ses membres, dont certains parvinrent à s’échapper au Maroc.
L’affaire sembla trouver un dénouement pacifique et Benaouf persuada les Tortues de payer une amende de 5.000.000 €.
Gwenette Martha envoya l’un de ses lieutenants négocier le montant de l’amende qui lui était infligée, mais ce dernier tomba sous les balles de tueurs du camp adverse, à l’entrée du Crown Plaza.
C’est le début de ce que les journalistes ont qualifié de Mocro Oorlog ou Mocro Guerre, qui s’est soldée par des règlements de comptes sanglants, des trahisons qui n’avaient qu’une seule et même finalité, prendre le contrôle du trafic de cocaïne.
Les membres du gang alimentent la spirale du crime. Nous prendrons l’exemple de Najib Himmich, l’un des associés de Martha qui reprit l’organisation, lorsque celui-ci fut incarcéré, mais il ne tarda pas à la trahir au profit du gang de Samir Bouyakhrichan dit « Scarface » réfugié en Espagne. En 2014, Martha fut assassiné de 80 balles de Kalashnikov. Samir, commandita cet assassinat pour protéger Najib Himmich de sa trahison et d’éventuelles représailles.
Samir à son tour tomba sous les balles d’un tueur à la solde de Naoufel Fassih, ancien membre du groupe de Martha et de Redouane Taghi encore peu connu, avec la complicité de Najib Himmich qui aurait trahi Samir, pour se racheter auprès des membres de son ancien gang, à ceci près que Naoufel Fassih fera assassiner Himmich pour se venger du rôle que ce dernier a joué dans l’assassinat de Martha. Najib Himmich a été enterré vivant. En revanche sa femme sera assassinée devant ses enfants par les mêmes commanditaires du meurtre de Najib Himmich.
Cette versatilité, caractéristique de la Mocro oorlog est éloignée des pratiques dites mafieuses, où le rituel d’initiation et le serment, engagent celui qui le subit et prévient toute tentative de trahison. On ne peut assimiler les gangs qui composent la Mocro oorlog à une quelconque structure mafieuse.
Le cheminement criminel de ces gangs, ne sont pas sans rappeler ceux de la Camorra, dont le criminologue Xavier Raufer, souligne que les agissements de ses membres qui se livrent à des " guerres " qui font rage en pleine rue et dont les " soldats " flinguent comme ils respirent ».
Cette confusion sur le terrain a profité à deux personnalités qui commencèrent à imposer leur loi, il s’agit de Naoufel Fassih et Radouane Taghi qui donnent à la Mocro un caractère plus proche de ce que l’on a coutume de désigner, sous le nom de mafia. La violence de rue persiste, mais elle est cette fois orientée vers l’affirmation d’un pouvoir centralisé et resserré autour de ces deux personnages. Elle n’est plus une simple conséquence de la loi du Talion, mais elle vise à « discipliner » les gangs obéiront à une direction unique. On retrouve une stratégie identique lorsque Yoshio Kodama imposa aux "gurentai" japonais une seule et même structure, la Yakuza.
Dès lors, on assiste à une montée en puissance de ce réseau qui tend à s’affirmer de plus en plus dans cet univers du trafic de drogue.
S’emparer du pouvoir par la violence
Redouane Taghi est actuellement sous les verrous dans l’attente du verdict de son procès. En 2014, son nom a commencé à circuler dans le monde du crime organisé. Il s’impose très vite à la tête d’une organisation classée, par les Pays-Bas, parmi les plus dangereuses, devant les gangs monténégrins Škaljari et Kavač. Pour autant, il n’est toujours pas possible de parler de mafia pour son organisation, car la police néerlandaise ne lui a pas laissé le temps de la transformer en mafia.
Il est issu d’une famille de dealers, mais aussi à la différence des membres des gangs, tels Martha ou Benaouf, il a fait des études supérieures. Il a étudié la science de l'éducation à l'Université d'Utrecht, tout en « dealant » pour subvenir aux besoins de sa famille. Il possède donc, un certain ascendant sur tous, et a su profiter de la faiblesse structurelle de ces gangs, pour créer sa propre organisation.
Taghi est né au Maroc, dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceïma. Sa famille s’est installée à Utrecht dans le quartier de Vianen en 1980, où il intègre la bande « Bad Boys », active dans les environs de Nieuwegein à Utrecht et adopte le surnom « De Neus Uit Vianen » le nez de Vianen. En 1992, il est condamné une première fois pour des faits de braquage et de possession d'armes à feu. Au cours des années 1990, la famille reprend ses activités illégales en important régulièrement des tonnes de haschich en provenance du Maroc, via l'Espagne jusqu'aux Pays-Bas.
Il entre rapidement dans ce milieu et gravit les échelons, en prenant une part active au trafic familial. En 2005, il se lance dans l'importation de cocaïne du Panama vers les Pays-Bas, en passant par le Maroc, faisant rentrer, environ 1 000 kilos de cocaïne par mois, aux Pays-Bas.
Pendant les années de la Mocro Oorlog, il observe les guerres fratricides qui déciment les familles et comprend que pour s’imposer comme leader incontesté, il lui faut sortir de cette logique de gangs, dont les membres s’entretuent.
Il s’allie avec Naoufal Fassih, dit Noffel, né à Rotterdam, mais d'origine marocaine, à la tête d’un réseau criminel d'alliance internationale politique illégale.
Naoufal Fassih et son bras droit Rico Le Chilien sont alliés au clan Kinahan de la mafia irlandaise. Aussi, quand le 15 avril 2016, Naoufal Fassih est arrêté à Dublin, par la police, dans un appartement luxueux appartenant à la famille Kinahan, un commando de sept personnes tente de libérer Naoufal Fassih, à l'aide d'explosifs. En 2019, sa peine tombe, il encourt la perpétuité incompressible dans la prison de Dublin.
Ce qui permet alors, à Taghi d’hériter des contacts de Fassih et de s’imposer comme grand maître de son organisation. Il établit des liens avec d’autres organisations criminelles y compris au Moyen-Orient.
« Celui qui parle mourra », l’instauration de la terreur
L’une des caractéristiques de la mafia, c’est, précisément, de savoir ordonner à ses membres, le silence, voire de perpétrer des assassinats « pour l’exemple » à l’égard de tous ceux qui pourraient être tentés de s’intéresser à ses agissements.
« Wie praat die gaat », « Celui qui parle mourra », devient la devise de la Mocro Maffia, qui n’est pas sans rappeler la célèbre loi du silence. Taghi savait qu’une société qui ne communique pas et qui se méfie de son voisin plonge dans la terreur. Frédéric van Leeuw, procureur général de Belgique a affirmé que : "la violence ouverte des mafias se rapproche du terrorisme. L’objectif est de faire peur. Seule la politique de la peur permet d’obtenir les collaborations nécessaires".
Le 18 septembre 2019, l'avocat Derk Wiersum qui défendait Nabil Bakkali, qui a commis l’imprudence de dénoncer Taghi, est abattu devant son domicile à Amsterdam, un assassinat « stratégique » comme l’a souligné Mick Van Wely : « On a délibérément, stratégiquement, liquidé un acteur du système judiciaire et tous les Pays-Bas ont peur. Cet assassinat a suscité une vague d’émotion dans la classe politique néerlandaise, dont Geert Wilders, leader d’extrême-droite et le premier ministre Mark Rutte, qui n'ont pas hésité à organiser une conférence au parlement national des Pays-Bas dans la chambre basse. Ce qui n'arrêtera pas la vague d’assassinats, puisque le 12 décembre 2019 à Amsterdam, Taghi fit exécuter Rachid Kotar, le comptable de Samir Bouyakhrichan.
D’autre part, les journaux De Telegraaf et Panorama qui furent les premiers à pouvoir divulguer le nom et même le visage de Redouane Taghi, comme chef suprême de la Mocro Maffia, ne tardent pas à payer leur liberté de parole. Les représailles furent confiées aux membres de la Caloh Wagoh et les locaux du média furent la cible d’un attentat, le premier à la voiture bélier et le second au lance-roquette.
Pour s’imposer, Taghi a confisqué la parole et prononcer son nom est devenu tabou, y compris après son arrestation. Le journaliste Martin Kok, à la tête d'un site relayant régulièrement des informations sur les affaires criminelles aux Pays-Bas l’apprit à ses dépens. Il mentionnait quotidiennement le nom de son chef, car il était l'un des premiers à être au courant de l'organisation dite mafieuse, jusque-là inconnue aux Pays-Bas. Il prend l'organisation à la légère, écrit beaucoup sur Taghi, dont il dévoile plusieurs photos. La réponse ne se fit pas attendre et une bombe fut placée sous son véhicule. Lorsqu'il fut interviewé par les médias, le journaliste se moqua de Taghi et menaça d'écrire beaucoup plus sur son site web. Martin Kok échappe à deux tentatives d'assassinats avant de mourir dans un attentat à la voiture piégée.
En juillet 2021, un autre journaliste fut assassiné, Peter Rudolf De Vries, pour avoir mis en lumière les principales affaires criminelles de son pays. En accord avec l’un des principes du droit néerlandais, Peter Rudolf de Vries avait été désigné comme « personne de confiance » du principal témoin : l’ancien tueur à gages Nabil B. Un témoin que l’organisation a tenté de faire taire depuis des mois. En 2018, c’est son frère qui fut assassiné. Le rôle de Peter Rudolf De Vries était de protéger l’image de Nabil B, comme le prévoit la loi pénale néerlandaise, juste avant qu’il ne témoigne au procès de Taghi.
En 2016, la tête de Nabil A., jeune homme de 23 ans, connu des services de police fut retrouvée par des passants devant un bar à Chicha d’Amsterdam, repère des narcotrafiquants. Le corps de la victime fut quant à lui retrouvé dans un véhicule incendié dans le sud-est de la ville.
Comment ne pas penser aux méthodes effroyables de Daesh ? Taghi a instauré le règne de la terreur qui était destinée à effrayer la population. En usant de cette violence que l’on peut qualifier de spectaculaire, Taghi, faisait passer un message à la fois aux autorités, mais aussi aux gangs susceptibles de défier son organisation.
Pour créer une onde de choc, il se servit fort habilement des caméras surveillances dont les bandes furent récupérées par les médias, qui diffusent le transport de la tête. Il avait compris leur pouvoir dans une démocratie, aussi il se servit de ce spectacle macabre pour créer une psychose au sein de la population.
Passé maître dans l’art d’instrumentaliser les médias, il en fit les témoins privilégiés de cette violence, ce qui lui permit de faire coup double, car elle avait pour finalité de s’affirmer comme chef du trafic de drogue, mais aussi de faire régner la terreur au sein de la société néerlandaise. La Mocro Maffia s'empare de l’espace public, mais aussi des consciences en imposant une loi du silence par la terreur.
Au moment de l’arrestation de Taghi aux Émirats arabes unis, il venait de créer un groupe criminel, les Angels of Death, du nom d’un jeu vidéo japonais d’une violence inouïe.
Le capital relationnel du banditisme
Contrairement aux gangs de la Mocro Oorlog, l’organisation de Taghi était en train d’étendre ses tentacules et ce faisant, commençait à se comporter en véritable société du crime de type mafieux. La corruption, mais aussi les liens avec des organisations terroristes étrangères, étaient censées la propulser dans la sphère des mafias, parmi les plus puissantes au monde.
La corruption
Les mafias, où qu’elles se trouvent dans le monde, ont adopté la même stratégie, qui consiste à corrompre, plutôt qu’à avoir à user de méthodes violences qui n’interviennent qu’en ultime recours.
La Mocro maffia n’a pas échappé à la règle. Dans un article, Roberto Saviano s’inquiète du basculement des Pays-Bas dans ce qu’il appelle un « territoire offshore » alimenté par l’argent de la drogue, le paradis des narcotrafiquants : « Le système financier néerlandais est ainsi fait que les organisations criminelles qui ont la main aux Pays-Bas tiennent le fief du blanchiment européen ».
Et s’adressant directement aux Néerlandais : « Vous, Néerlandais, vous avez connu le nom de Redouane Taghi, peu avant qu’il ne soit arrêté, seulement en 2015, mais en réalité il commandait depuis longtemps déjà ».
Ce qui signifie qu’il a réussi à mettre sur pied un système de corruption visant à se garantir une certaine impunité.
Cela passe par la corruption d’hommes politiques, comme le président du Surinam Desi Bouterse ou de douaniers dont Tim Deelen, arrêté, trahi par son train de vie qui ne correspondait plus véritablement à son salaire, ou bien encore de parties de football truquées.
La sous-traitance du crime, les Caloh Wagoh
Une mafia n’a pas besoin de sous-traiter le crime, car dans ses rangs, nombreux sont les tueurs à pouvoir accomplir les basses besognes de l’organisation. Dès leur admission au sein de l’organisation, ils doivent prouver qu’ils sont capables de tuer, y compris un membre de leur propre famille.
Redouane Taghi avait des difficultés à recruter de « bons tueurs à gage », les tueurs marocains auprès desquels il avait passé contrat ont souvent manqué leur cible, ce qui révèle l’amateurisme des membres des gangs.
Son charisme et son importance ont attiré certains groupes criminels. Ainsi, il a fait appel aux Green Gang, tueurs antillais originaires d’Amsterdam ou bien encore au gang d'Amir Mekky, un irano-marocain de Malmö, pour certaines affaires.
Mais ses alliés les plus fiables ont été les Caloh Wagoh. Les forces de police ont clairement établi que parmi les tueurs ou les poseurs de bombe, il y avait toujours un membre des Caloh Wagoh.
Les Caloh Wagoh sont à l’origine un gang de motards. En 2018, le fondateur Delano R. a trouvé un accord avec Redouane Taghi et prêté certains membres de son organisation, comme tueurs à gages sous commande. Les membres de Caloh Wagoh ont reçu une énorme somme d'argent pour chaque assassinat réussi.
Dans la même année, le club de motard a gagné en notoriété après l'arrestation du membre Richard Z., et l'attentat contre le journal Panorama, qui avait mentionné le nom de Redouane Taghi, sur le moment encore inconnu aux Pays-Bas.
Les liens de la Mocro Maffia avec les Gardiens de la Révolution islamique
L’importance de la Mocro Maffia et sa capacité de nuisance n’a pas échappé à certains États qui n’ont pas tardé à passer contrat avec elle. On connaît les liens qu’entretiennent la mafia et le monde politique.
En particulier, la collusion entre la Mocro Maffia et les Gardiens de la Révolution islamique a été scrutée de près par les autorités. L’Iran de Qassem Soleimani, selon les affirmations de la police néerlandaise, aurait établi un contact dès 2015. Le 8 janvier 2019, les ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur néerlandais ont fait une déclaration à l'encontre de l'Iran, qu'ils soupçonnent d'avoir commandité deux meurtres sur le territoire néerlandais.
En 2015, à Almere, Ali Motamed, un électricien de 56 ans, tombe sous les balles de 2 tueurs, devant chez lui, un soir d'automne. La police n'avait à ce moment précis aucune idée du mobile et l'enquête mit plusieurs mois à trouver une piste, celle d'une BMW bleue aperçue plusieurs fois à partir du 11 décembre.
Une voiture volée deux mois plus tôt à Utrecht avec des plaques d'immatriculation vierges dérobées, elles aussi, dans un commerce de Nieuwegein. Cet indice met la police sur la piste d’une équipe venue d'Utrecht pour le contrat. Un appel à témoins fut lancé et plusieurs personnes décrivirent les deux passagers de la BMW. Ces derniers furent identifiés comme appartenant au Green Gang.
En août 2018, l'affaire prit un essor considérable quand il s'avéra qu'Ali Motamed, se cachait sous une fausse identité et s'appelait en réalité Mohammad Reza Kohali Samadi, ancien membre des Moudjahidines du Peuple ; il était recherché en Iran, pour sa participation à un attentat le 28 juin 1981 à Téhéran, qui causa la mort de 73 hauts responsables du gouvernement dont le juge en chef Mohammad Beheshti, numéro 2 du régime des ayatollahs.
Le contrat aurait été confié par des officiels iraniens et le nom de Qassem Soleimani est cité. Ce dernier ce serait adressé à Naoufel Fassih qui se serait ensuite chargé d'engager les tueurs.
Le 8 novembre 2017 Ahmad Nissi fut abattu à La Haye par un homme seul qui s'enfuit dans une BMW. Il vivait en Hollande depuis 2006.
En 1999, Nissi était devenu le fondateur et le leader du Mouvement de Lutte Arabe pour la Libération d’al-Ahwaz (ASMLA), une province du Khuzestan, riche en pétrole, au sud-ouest de l'Iran. Cette organisation est suspectée par des autorités iraniennes, de velléités d’indépendance. Aussi, les autorités néerlandaises ne tardèrent pas, grâce à la coopération européenne, à voir derrière cet assassinat la main de Téhéran et de la Mocro maffia. Les autorités danoises accusèrent l'Iran d'avoir planifié le meurtre d'un autre membre de l'ASMLA en septembre 2018.
En octobre 2019, « De Telegraaf » a publié une information sur la protection assurée par les services iraniens, de criminels néerlandais, qui les aident à commettre des assassinats politiques aux Pays-Bas. Le journal a affirmé que Taghi recherché par la DEA a pu, à un certain moment, trouver refuge en Iran et qu'une tentative d'assassinat contre un opposant iranien avait été envisagée.
Conclusion
En moins de 10 ans, la Mocro Maffia est passée d'une organisation de rue à une compagnie financière, voire une holding. Prétendre qu’il puisse s’agir d’une mafia, à ce stade, est erroné ; tout au plus s’agit-il d’une proto-mafia, car celle-ci semble répondre aux critères suivants :
À la mafia est liée l’image du bandit d’honneur, Cosa Nostra tend à conserver cette image, les Yakuza de même ; or, la Mocro Maffia n’a jamais prétendu défendre la veuve et l’orphelin, au contraire elle joue sur la violence.
Il y a des constantes dans l’organisation des mafias et l’une d’elle est de ne pas faire de victimes collatérales et civiles.
« Une mafia, elle, est une entité quasi indestructible ; fonctionnant en l'absence, même durable, d'un dirigeant. C'est en fait une société secrète, cloisonnée et hiérarchisée, aux règles rigides qu'on enfreint au péril de sa vie. On rejoint un gang par copinage, mais on entre dans une mafia par cooptation familiale, après un rituel initiatique qui, de la Sicile aux États-Unis, est commun à quasiment toutes les “familles”. »
Bien que Taghi soit incarcéré, aujourd'hui, tout le monde cherche à travailler avec la Mocro Maffia, car elle a la mainmise sur le trafic de drogue des ports d’Anvers et de Rotterdam.
Ces huit dernières années, le trafic de drogue a été multiplié par 14 à Anvers, certains terminaux, plus vulnérables que d'autres, sont devenus de véritables plaques tournantes comme le MPET avec ses 26,8 tonnes en 2019 ou le BNFW avec 10, 4 tonnes, le terminal Antwerp Gateway, 5 tonnes en 2019.
L’organisation de Taghi a emprunté certaines méthodes utilisées par la mafia, il a lui su lui donner une impulsion en embauchant notamment des génies de l’informatique qui ont dupliqué les codes pins de containers où la drogue était cachée, une méthode appelée Rip on ou Rip off , en vigueur au Brésil dès 2017 et qui a permis de soustraire ces mêmes containers à la Douane.
On ne peut véritablement compter la Mocro Maffia parmi les Mafias, même si cette dernière a acquis une importance au plan international, par sa capacité corrompre, à s'auto mystifier et en créant des liens avec d’autres organisations du crime.
Mais une chose est certaine : malgré l’incarcération de Taghi, l’organisation fonctionne, ce qui permet de penser que les tentacules de la pieuvre ont résisté à l’arrestation du chef, c’est sans doute le signe que celle-ci est en passe de devenir une mafia.
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