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La génération "Gezi" le cauchemar de Recep Erdogan




C'est un scrutin à hauts risques, pour l’actuel président de la République turque. En vingt années, son pouvoir s’est quelque peu érodé. La crise économique, puis la gestion calamiteuse du tremblement de terre ont écorné sa popularité, sans oublier l’opposition croissante de la jeunesse. Pour la première fois, il se trouve face à une opposition unie derrière un candidat, Kemal Kiliçdaroglu. Un homme issu d’une minorité, la communauté alévie, malmenée au cours de l’histoire. En dépit de ce handicap, ce dernier a toutes les chances de mettre un terme au règne de l’AKP, dont le principal adversaire s’appelle : la génération Gezi.


Sa candidature a fait consensus ou presque, Kemal Kiliçdaroglu est en politique depuis 20 ans, mais à 74 ans, qu'il s'engage dans la bataille présidentielle à la tête du CHP, le Parti républicain du peuple fondé par Kemal Atatürk. C’est un « homme neuf » qui n’a pas de passif politique et surtout il incarne l’intégrité.

Dès la fin de l'année 2008, il dénonce plusieurs affaires de corruption de membres du parti au pouvoir, l'AKP, dont Saban Disli, député de Sakarya et vice-président de l'AKP. Suites aux révélations fracassantes de Kemal Kiliçdaroglu qui l'accuse d'avoir empoché un million d'euros dans une affaire de vente de terrains, il sera contraint à la démission.


Cet économiste que l’on a surnommé le Gandhi turc, en raison de sa frêle apparence et de son calme olympien, contraste avec celui de son concurrent, au parler tonitruant et au vocabulaire outrancier, a réuni autour de sa candidature, tous les partis, avec cependant une réticence de la part du camp nationaliste incarné par Meral Akşener, présidente du parti Iyi (bon).



Cette dernière lui a accordé son soutien « du bout des lèvres » après avoir quitté la "Table des six" n'acceptant pas sa désignation. Son choix se portant sur le maire d'Istanbul ou d'Ankara. Meral Akşener appartient à la mouvance nationaliste. Elle a

adhéré au Parti d'action nationaliste (MHP). Elle est devenue la première femme ministre de l'Intérieur de l'histoire de la Turquie lorsqu'elle est nommée à ce poste dans le gouvernement de coalition de Necmettin Erbakan. Elle n’a occupé cette fonction que 9 mois, dans un contexte de guerre dans le sud-est de la Turquie, entre les forces de sécurité et le Parti des travailleurs du Kurdistan.


La faiblesse de Kiliçdaroglu c’est à la fois, sa religion et son appartenance ethnique, qui selon les observateurs de la vie politique serait soit zaza, soit kurde.

La préférence de Meral Akşener, n'est pas fortuite, car ses deux candidats bien que faisant partie du CHP, possèdent l’avantage, aux yeux de la présidente d’IYI, de représenter la nation turque et l’islam sunnite. Au Proche-Orient où la religion suffit à désigner une personne comme « ami ou ennemi », à définir son identité nationale, la présidente d’IYI a donc fait un choix religieux et ethnique. Rappelons qu’elle fut ministre de Necmettin Erbakan, dont le nationalisme se confondait avec l’appartenance religieuse et qui était l’un des tenants de la synthèse turco islamique.


Les Alevis que l’on désignait sous l’empire ottoman comme les Kizilbas ou têtes rouges en raison de leur fez, étaient perçus comme une cinquième colonne à la solde de la Perse voisine, car cette branche de l’islam n’est pas sunnite, mais chiite et soufie. Leurs villages en Anatolie n'ont pas de minarets et leurs réunions se tiennent dans les maisons de poésie. Ils continuent à être perçus comme des ennemis de l’intérieur par les nationalistes.

En décembre 1978, des massacres sur les populations alévies ont été perpétrés par l’extrême droite et les Loups gris.

Pour l’extrême droite, la défiance à l’égard des alévies est toujours de rigueur. De surcroît, le candidat à l’élection présidentielle est originaire du Dersim, lieu marqué par l’histoire en raison de son bombardement contre les populations. De 1937 à 1938 eurent lieu des massacres dans le Dersim contre les Kurdes. Depuis lors la province a été rebaptisée du nom de Tunceli.


Le 21 avril 2019, Kemal Kilçdaroglu a échappé de justesse à un lynchage par une meute d’hommes en colère, lors des funérailles d'un soldat turc tué par des combattants kurdes à la frontière avec l'Irak. Cette attaque intervient un an après les paroles du ministre de l'Intérieur Süleyman Soylu qui demandait à ce que le CHP ne soit plus accepté dans les funérailles militaires à cause de ses supposées complaisances avec le PKK. Le président turc Erdoğan lui-même traitait régulièrement ses opposants de « terroristes ». A quelques jours du scrutin, le président sortant a lancé des opérations contre les Kurdes, ce qui n’est pas innocent, car c’est sans nul doute un message à l’adresse du camp nationaliste et religieux .




La jeunesse : le Talon d'Achille de Recep Erdogan


C’est elle qui pourrait faire tout basculer en la défaveur de l’actuel président de la République turque. Le mouvement complexe de contestation du gouvernement déclenché par l’opposition à du projet de caserne ottomane au cœur d’Istanbul en mai-juin 2013, renvoie en fait à un ensemble très hétéroclite de modes d’action, de terrains, de groupes sociaux et de dynamiques socio-politiques.

Il faut rappeler que certains quartiers périphériques d’Istanbul ont participé à la résistance de Gezi, à leur manière, avec leurs référentiels d’action et leurs dynamiques propres, dès les premiers jours. Le 31 mai 2013, au soir, certains quartiers « rebelles » sont entrés dans la lutte de Gezi et articulent leurs efforts à elle : le quartier de Gazi (dans l’arrondissement européen de Sultangazi), puis ceux d’Armutlu et d’Okmeydanı, foyer « révolutionnaire » endémique le plus proche de Taksim. Ainsi, le 1er juin à midi, un groupe de 300 jeunes d’Okmeydanı a pris part à Taksim à la bataille et à la libération du parc et de la place.

La révolte de Taksim est interprétée très différemment selon le moment et le point de vue : soit « événements », pour la qualification la plus neutre, soit « tentative de coup », soit « soulèvement », « révolte » ou « résistance ». Deux interprétations dominantes s’affrontent encore actuellement sur la scène politico-médiatique turque et même internationale. D’un côté prévaut une interprétation diabolisante portée par l’AKP. Celle-ci voit en ce « soulèvement » le produit d’un complot associant des éléments étrangers reprenant de facto le bon vieux thème nationaliste de la « citadelle assiégée .


L’esprit « du rébellion parc » perdure et s’est accentué avec la crise, où la jeunesse n’en n’a cure de ressusciter l’empire, si cher à Recep Erdoğan et de sa volonté de restaurer la sphère d’influence ottomane au Proche-Orient. La crise économique, le Covid, la guerre en Irak, l’autoritarisme croissant lié à son souhait de voire éclore une « génération pieuse » ont fortifié « l’esprit Gezi » qui a soufflé sur la Turquie et la jeunesse refuse désormais le discours qui vise à homogénéiser la société et à criminaliser les différences. Comme l’a affirmé l’écrivain Kenan Görgün présent sur la place Taksim en 2013 : « en tant qu’architecte du miracle économique turc, en donnant à cette jeunesse les moyens de découvrir le monde des différences et des idées, et de nourrir cette sensibilité qui la pousse aujourd’hui à se sentir révoltée par lui ». Un slogan en dit long sur l’état d’esprit de cette jeunesse, qui avait lancé un défi au président sortant : « Tayyip Connecting people ».


Lea Raso Della Volta


Bibliographie



Dündar, C, Anwar, Jbr, Erdogan, le nouveau sultan, éditions Delcourt, 2022.


Görgün, K, Rebellion Park, éditions, Vents d’ailleurs, 2014.


Raso Della Volta, L, Les paradoxes du nationalisme turc - La construction de l'identité de 1869 au néo-ottomanisme de Recep Erdogan, éditions de L’Harmattan, 2021



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