- Candice NOUAILLIER
La Chinafrique et l'Indafrique
L'Afrique fait l'objet d'une attention accrue de la part des grandes puissances : son abondance de matières premières et de minéraux est une aubaine pour des pays comme la Chine et l'Inde, dont la croissance démographique couplée à l'émergence d'une classe moyenne consumériste les amène à considérer l'approvisionnement en matières premières comme une préoccupation nationale. En échange, ils offrent à l'Afrique une alternative de développement à travers le financement de projets d'infrastructures, des partenariats commerciaux qui intègrent davantage l'Afrique dans la mondialisation, et l'intensification des liens culturels et diplomatiques. Des partenariats qui ne sont pas sans inconvénients.
La Chinafrique, histoire d’un essor remarquable
L'essor fulgurant de la présence chinoise dans une grande partie du continent africain a fait naître l'idée d'une Chinafrique, sorte de substitut à une « Françafrique » moribonde. Cette expression vague, facilement exploitable par les médias, fait donc partie du vocabulaire utilisé pour évoquer la présence chinoise en Afrique, bien que son manque de précision ne permette pas de nuancer la situation économique très disparate de chaque pays africain examiné individuellement.
La formidable croissance des activités chinoises en Afrique est sans doute la plus significative des tendances observées dans le domaine des relations étrangères sur le continent depuis la fin de la Guerre froide. La croissance rapide des liens entre la Chine et l'Afrique a propulsé la Chine devant les États-Unis en 2010 en tant que premier partenaire commercial et premier bailleur de fonds de l'Afrique. Entre 2000 et 2015, période charnière, les échanges sino-africains ont été multipliés par 20, pour atteindre la barre des 300 milliards de dollars, selon un article de Jean-Raphaël Chaponnière publié dans la Revue d’économie financière.
La Chine dispose de 8 zones économiques spéciales (ZES) sur le continent, notamment en Egypte, en Algérie, au Soudan ou à l’Île Maurice ; elle a signé des contrats de coopération pour son ambitieux projet des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI) avec 46 pays africains sur 54, soit environ 85 % ; et qu’elle a construit 22 parcs industriels et zones de libre-échange –accélérant considérablement son processus d'industrialisation du continent –par exemple, la Eastern Industrial Zone (EIZ) à Addis Abeba ou la Lekki Free Trade Zone à Lagos. Il y a par ailleurs environ 10 000 entreprises chinoises installées sur le continent selon des estimations de Le Point Afrique faites en 2017. L'expansion passée et prévue du commerce, de l'aide au développement et des investissements de la Chine est susceptible de conférer à Pékin une influence économique, politique et culturelle en Afrique qui pourrait concurrencer le statut dont ont bénéficié l'Europe et les États-Unis au cours du siècle dernier – surtout la France, qui entretenait des liens extrêmement étroits avec l’Afrique : « Ainsi, Yaoundé, Brazzaville ou Libreville ont-ils su précocement ouvrir leurs stratégies à la Chine, alors que ces régimes sont présentés comme les archétypes de la Françafrique », affirme Jean-Pierre Bat dans un article de la revue Hérodote. Ce transfert d'influence reflète également l'expansion rapide de la Chine en Amérique latine et illustre sa percée en tant que deuxième grande puissance remettant en cause l'hégémonie des États-Unis.
Les jalons clés qui ont façonné les relations de la Chine avec l'Afrique ont été posés en 1978, lorsque les politiques d’« Open Door Policy » de Deng Xiaoping ont débuté, permettant d’attirer les investissements étrangers ; en 1993, lorsque la Chine est devenue un pays importateur de pétrole avec le lancement de la « Go Out policy » ; en 2000, lorsque la Chine a entamé son sommet triennal des chefs d'État avec l'Afrique - Forum on China-Africa Cooperation ou FOCAC - ; et en 2001, lorsque la Chine a rejoint l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
La pluralité des actions et des intérêts chinois en Afrique
Les intérêts chinois en Afrique peuvent être divisés en plusieurs catégories. D’abord le développement économique : exploiter un marché commercial en plein essor – dû à une croissance démographique soutenue en Afrique, une population jeune, ainsi qu’à un processus d’urbanisation et d’émergence d’une classe moyenne consumériste et éduquée – et à fort potentiel, sous-estimé par l'Occident. Il s’agit également de garantir la sécurisation de certaines ressources naturelles, telles que le pétrole et le gaz en Angola, au Nigeria et au Soudan ; l’uranium au Niger ; et le fer en Mauritanie – comment l’expliquent Pierre Bermond, Antoine Daubet et Sylvain Gauthier dans un article publié dans Géoéconomie. Enfin, il est question légitimité politique et diplomatique : la Chine tient à recevoir un appui quant à la non-reconnaissance de Taïwan en tant qu’Etat souverain.
Contrairement à l’Occident, les intérêts chinois en Afrique s’expriment sans impératif de réformes gouvernementales et sans demande de respect des droits de l’Homme. La Chine opte en effet pour une approche non-interventionniste aux desseins principalement commerciaux, perspective alléchante aux yeux de certains dirigeants africains. Les Chinois tentent de séduire les gouvernements africains et les populations locales en se focalisant sur un transfert largement basé sur l'extraction de matières premières en échange de produits de consommation et d'infrastructures : ports routes, voies ferrées – Addis Abeba-Djibouti ; Mombasa-Nairobi ; Khartoum-Port Soudan, entre autres… sans oublier la fameuse ligne « TAZARA » construire au début des années 1970, longue de 1860 km et reliant Dar es-Salam à Kapiri Mposhi –, barrages, stades – par exemple, le stade Alassane-Ouattara en Côte d’Ivoire –, hôpitaux, zones industrielles... Autre symbole de taille : la construction chinoise de la plus grande mosquée d’Afrique, la Grande mosquée d’Alger.
Comme le souligne Barthélémy Courmont dans un article rédigé pour la revue Géoéconomie, la Chine prend souvent en charge la totalité des travaux, utilisant des fonds chinois mais aussi des matières premières et des ouvriers chinois – comme cela est d’ailleurs le cas avec les activités chinoises dans d’autres contrées, dans les Balkans ou en Amérique latine par exemple. La Chine peut donc se targuer d'être omniprésente dans la construction d'infrastructures et de bâtiments d'une étonnante diversité : commerciaux, industriels, sportifs, religieux, sanitaires, énergétiques, de transport... et ce, non sans compensation : « China will not turn these railways over to African governments, as it did with the Tazara. Rather, it will retain majority control of its rail investments, operating the railways until its money is recouped by ticket and cargo revenues and by other fees », déclare Howard French dans The Atlantic.
La Chine conservera donc par exemple le contrôle majoritaire de ses investissements ferroviaires, exploitant les chemins de fer jusqu'à ce que l’argent soit récupéré grâce aux recettes des billets et du fret et grâce à d'autres redevances. Pékin étaye savamment sa diplomatie économique en Afrique par le biais de sommets triennaux cités ci-dessus – le fameux FOCAC -, de visites bilatérales régulières au plus haut niveau, d'une présence diplomatique globale en Afrique – à l'exception d'un petit pays enclavé reconnaissant encore Taïwan : l’Eswatini. Cette coopération sino-africaine est aussi symbolisée par le siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, construit et équipé par la Chine.
Tandis que les activités chinoises en Afrique ont jusqu'à présent été principalement menées par le gouvernement chinois et les grandes entreprises d'État, les acteurs non étatiques, tels que les sociétés privées chinoises, revêtent une importance croissante. Ces acteurs privés contribuent à la diversification et à l'approfondissement des relations entre l'Afrique et la Chine, mais ils exacerbent également certains maux, allant de la vente de marchandises contrefaites, au non-respect des législations liées à l'environnement et au droit du travail.
La Chine est sous le feu des critiques pour avoir fermé les yeux sur les pratiques des dirigeants despotiques dans lesquels elle opère, conformément au « consensus de Pékin » qui place le commerce au cœur de ses préoccupations, quitte à faire fi du respect des droits de l'Homme : « Certains pays pauvres connaissent en effet la « malédiction des ressources naturelles » : ils ont à leur tête des régimes autoritaires préoccupés de la rente minière et maintenus en place par des forces de sécurité grassement rémunérées. De leur côté, les principaux pays acheteurs n’échappent pas à une « malédiction des ressources inversée », sitôt qu’ils deviennent complices de la survie d’Etats autocratiques », note Michael Klare dans Le Monde diplomatique.
Les liens indo-africains, entre valeurs partagées et défis collectifs
Les relations économiques croissantes que l’on peut constater entre l’Inde et l’Afrique s’inscrivent dans une tendance grandissante de coopération Sud-Sud : « En 1947, l’Inde se trouve dans une position géopolitique unique en étant le premier pays devenu indépendant du régime colonial britannique. Sa lutte pour l’indépendance est citée en exemple de par le monde, exemplarité renforcée par sa nature principalement non-violente. Cette résistance pacifiste fut menée par la figure emblématique de Gandhi dont le séjour en Afrique du Sud reste jusqu’à aujourd’hui un repère important de la géopolitique indienne en Afrique », note Pooja Jain-Grégoire dans un article d’Hérodote.
C’est en effet ce séjour en Afrique du Sud qui fit prendre à Mahatma Gandhi la mesure des discriminations raciales perpétrées par le système colonial et l'a conduit à se rebeller contre la Couronne britannique, devenant ainsi une sorte de précurseur entrainant par effet domino une pléthore de mouvements indépendantistes dans les décennies suivantes, notamment en Asie et dans le Pacifique, et surtout en Afrique.
L’activisme de Gandhi a inspiré une multitude de chefs d’Etats africains à réclamer leur indépendance : Jomo Kenyatta au Kenya, Kenneth Kaunda en Zambie, Obafemi Awolowo au Nigeria, Julius Nyerere en Tanzanie, et bien d’autres. Suite à la conférence de Bandung en avril 1955, le Premier ministre indien Jawaharla Nehru a intégré son pays dans le mouvement des pays dits non-alignés, aux côtés, entre autres, de l’Egypte de Gamal Abdel Nasser et du Ghana de Kwame Nkrumah. En plus d’offrir une troisième voie neutre aux pays ne désirant pas rentrer dans le système bipolaire caractéristique de la Guerre froide, Nehru a présenté l’Inde comme le porte-parole solidaire des pays colonisés, dont les velléités d'indépendance ne pouvaient plus être négligées. L’Inde et le continent africain sont par conséquent liés par ce lien indéfectible de lutte commune contre le colonialisme et le racisme.
A ce jour, la Guerre froide n’est plus et il en va de même pour le concert des pays non-alignés. Cependant, l’Inde en conserve un héritage manifeste à travers ses relations géopolitiques et les nombreuses visites rendues par Narendra Modi en Afrique. Certes, l'Inde ne partage aucune frontière avec l'Afrique, mais elle dispose d’une situation géographique que l’on pourrait en quelques sortes qualifier de « voisine » car elle entretient tout de même un contact avec ce continent par l'intermédiaire de l'Océan Indien, faisant ainsi partie d’un « même ensemble maritime », comme le note Pooja Jain-Grégoire dans Hérodote.
Cet océan, qui baigne les côtes orientales de l’Afrique, véhicule, à travers sa dénomination, l’influence indienne, qui se matérialise de nos jours par le biais de la vaste diaspora indienne implantée dans la région. Ce sont donc leur passé, leurs luttes pacifistes communes, leur métissage et leur identité en tant que pays du Sud qui rapprochent l’Inde et l’Afrique : « L’appartenance au groupe de pays dit « le Sud » est un sujet identitaire pour eux », explique Pooja Jain-Grégoire. Cette appartenance aux groupes de pays englobant pays moins développés, pays émergents et pays déjà « émergés » est devenue une source de fierté pour certains de ses membres, dont l’Inde, qui s’enorgueillissent de la pluralité de leurs partenariats, tant avec le Nord qu’avec le Sud, et plaident pour un système international plus égalitaire et inclusif – à l’Organisation des Nations Unies (ONU), au G20, etc., des instances majoritairement monopolisées par des pays occidentaux.
Ces pays font face à des défis partagés, que cela soit en matière de changement climatique – le réchauffement de la planète les affecte plus que d’autres –, de coopération agricole et de développement, tous ces enjeux se rattachant plus globalement au concept de développement durable, qui s’avère de plus en plus essentiel pour ces sociétés à la croissance démographique soutenue.
Une coopération qui s’institutionnalise
Cette coopération proactive s’est institutionnalisée à travers la plateforme India-Africa Forum Summit (IAFS) qui s’est déroulé pour la première fois en 2008 à New Delhi, puis à Addis-Abeba en 2011. L’IASF est un sommet entre l'Inde et les pays africains dont l’objectif est d’aborder des thèmes tels que le commerce, la protection de la société civile, le développement des technologies de l'information et de la communication, la sécurité et la paix, pour établir une représentation globale des intérêts économiques et géopolitiques conjoints de l’Inde et de l’Afrique : C’est également une opportunité pour ces pays d’organiser des rencontres bilatérales. La dernière instance de l’IAFS a eu lieu à New Delhi en 2015 : ce fut l’initiative diplomatique du gouvernement Modi impliquant le plus grand nombre de représentants de nations africaines, selon un article de The Times of India. Ce sommet regroupe non seulement des responsables politiques, mais des industriels, des membres de la société civile, des hommes d'affaires et des personnalités universitaires.
Ce partenariat s’illustre aussi à travers la participation active d’acteurs économiques privés, et l’organisation de réunions CII-EIM Bank Conclave on India-Africa Project Partnership, mises en place dès 2005 : « Poursuivant cette logique, la Confédération de l’industrie indienne (CII) et la banque d’export-import indienne (Exim) organisent chaque année une réunion bilatérale (CII-EIM Bank Conclave on India-Africa Project Partnership) pour le partenariat Inde-Afrique qui facilite la rencontre des secteurs public et privé indiens avec leurs homologues africains », précise Pooja Jain-Grégoire.
A l’échelle régionale, l’Inde met en place des politiques en s’impliquant aux côtés de communautés économiques régionales telles que le Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA), le Southern Development Community (SADC), l’Economic Community of West African States (ECOWAS) ou l’East African Community (EAC). A l’échelle nationale, l’Inde accroît ses relations bilatérales en augmentant sa présence diplomatique dans divers pays d’Afrique.
A l’échelle supranationale, l’on constate également une étroite collaboration entre l'Inde et les pays africains sur les questions de subventions et de tarification des produits agricoles, lors du cycle de négociation de Doha à l’OMC ; également dans le cadre de forums de dialogue comme les BRICS ou le forum de dialogue IBSA – réunissant l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil. Une autre indication du resserrement des liens entre l'Afrique et l'Inde au cours des dernières années est la hausse des investissements indiens en Afrique dans différents secteurs, allant du secteur agricole au pétrole, en passant par les télécommunications, les mines, les infrastructures et les produits pharmaceutiques, comme l’explique Aparajita Biswas dans Indian Foreign Affairs.
Limites de la présence chinoise en Afrique
Le partenariat naissant entre la Chine et l'Afrique soulève plusieurs questions cruciales : les capitaux et les projets chinois peuvent-ils aboutir là où les efforts occidentaux ont manifestement failli ? Ou bien la Chine deviendra-t-elle la dernière d'une succession de puissances néocoloniales installées en Afrique, vouée, comme les autres, à léguer au continent africain son lot habituel de désillusions et de déconvenues ? Les responsables africains considèrent, dans leur grande majorité, le rôle de la Chine en Afrique sous un angle favorable et se félicitent de la priorité accordée par la Chine à l'Afrique.
De nombreux dirigeants africains sont convaincus qu'en tant que pays émergent, la Chine a des intentions plus charitables que les entreprises occidentales, toujours perçues comme les hérauts des anciennes puissances coloniales. Les dirigeants africains chantent les louanges des interventions chinoises, soulignant les bénéfices concrets qui en découlent : infrastructures flambant neuves, augmentation et diversification de l'activité économique, création d'emplois pour les travailleurs locaux et amélioration notable des routes, des chemins de fer, des ponts – autant d'éléments qui profitent, de près ou de loin, aux citoyens ordinaires, comme le note Xavier Aurégan dans un article publié dans Géoéconomie.
Cependant, certains critiquent la présence chinoise, et le mécontentement s'accroît. Les syndicats et les groupes de la société civile reprochent aux entreprises chinoises leurs mauvaises conditions de travail et leurs pratiques environnementales douteuses. Les militants politiques affirment que la Chine pérennise une tradition néocolonialiste en Afrique, prenant la place des puissances occidentales mais perpétuant le même schéma impérialiste à la sauce mercantiliste : l’exportation massive de matières premières africaines vers la Chine en échanges de produits manufacturés, une présence invasive, des accords inégaux. Dans certains pays, l’hostilité à l'égard des pratiques commerciales chinoises et de l’arrivée massive de travailleurs chinois a donné lieu à des mouvements de contestation populaire, une sinophobie croissante et à l’agression voire le meurtre de ressortissants d’origine chinoise, en Zambie notamment.
Pékin a ajusté ses stratégies pour dissiper les inquiétudes des populations africaines et replacer la relation sino-africaine sur une trajectoire plus saine et harmonieuse. Cela passe par la promotion du soft power chinois – en 2016, il y avait 46 Instituts Confucius en Afrique selon un article de Sébastien Le Belzic publié dans Le Monde – ainsi qu'un soutien militaire à la stabilité des régions africaines sujettes aux conflits.
Comme l’explique Juliette Nsimba dans son article, ce soutien à la sécurité africaine se traduit aussi par la vente d’armes, la Chine étant devenue « le principal fournisseur d’armements en Afrique subsaharienne en 2017 » selon les données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). La Chine a également installé sa première base militaire permanente à l’étranger à Djibouti en 2017, micro-Etat possédant une position géostratégique intéressante, à proximité du détroit de Bab-el-Mandeb. Enfin, depuis le début de la crise du COVID, la Chine a brillé grâce à sa « diplomatie sanitaire », entre dons de masques et dons de vaccins.
L’Indafrique, retards économiques et culturels par rapport à la Chinafrique
D’un point de vue économique tout d’abord, bien que les deux soient des partenaires commerciaux majeurs pour l’Afrique, la Chine reste son premier partenaire commercial. Les échanges indo-africains sont plus hétérogènes, se concentrant en grande partie sur l’industrie pharmaceutique, les technologies de l’information et de la communication (TICs), l’exploitation minière et pétrolière, les infrastructures et l’agriculture, selon un article de Xavier Aurégan publié dans l’Espace Politique. Dans le même article, Xavier Aurégan indique : « L’idée selon laquelle l’Inde investirait plus que la Chine en Afrique doit être fortement relativisée puisqu’en 2016, 95 % des flux d’IDE indiens vers l’Afrique transitent par Maurice, qui a signé une convention permettant d’éviter la double imposition ».
Les lacunes sont également présentes sur le front diplomatique et culturel, comme l’analyse Xavier Aurégan dans un article publié dans l’Espace Politique : la disparité entre le réseau d’ambassades chinoises et indiennes en Afrique est flagrante. Tandis que la Chine est dépourvue d’ambassade dans un seul pays, l’Inde en est dépourvue dans neuf pays. L’écart est encore plus frappant avec les centres culturels : seulement quatre pays africains possèdent au moins un centre culturel indien sur leur territoire ; la Chine en a implanté dans une majorité d’Etats africains, à l’exception de seize pays. Il en va de même pour le nombre d'étudiants africains à l'étranger : comme on peut le remarquer sur le document ci-contre, issu du journal sud-africain Mail & Guardian, la Chine a dépassé la France à partir de 2019-2020 comme destination favorite des étudiants africains. Il s'agit d'une hausse astronomique. L’absence de l’Inde sur ce graphique est en elle-même révélatrice.
Bien que selon le ministère des Affaires étrangères indien, la diaspora indienne compte environ 2,8 millions d’individus réparties dans les 54 États africains, ces derniers résident en Afrique depuis plusieurs générations et sont bien souvent déconnectés de leur identité indienne.
Conclusion
La présence de la Chine et de l'Inde en Afrique est protéiforme, et répond à la volonté des Sud de dialoguer et commercer librement, sans interférence, infantilisation et impérialisme de la part des pays du Nord.
D'une part, l’Empire du Milieu offre un modèle alternatif à celui proposé par l'Occident et séduit par ses investissements généreux, son pro-activisme dans l'aide au développement et dans la construction de diverses infrastructures, et son laisser-faire en matière de droits de l'Homme dans les pays concernés, reflétant les principes du « consensus de Pékin », modus operandi du développement « à la chinoise ». Cette dynamique sino-africaine, marquée par des dates importantes, a été accélérée par l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013 : la présence chinoise en Afrique n'est désormais plus un secret pour quiconque et a même adopté le nom de « Chinafrique ».
La Chine dépeint son principe de non-ingérence comme un concept tout à fait nouveau dans le cadre des relations étrangères africaines, prenant ainsi ses distances avec le modèle colonialiste européen, qui reposait essentiellement sur une ingérence empreinte de paternalisme ; elle invoque une solidarité tiers-mondiste et déplore les reproches qui lui sont faits, à savoir que sa présence en Afrique serait empreinte d’arrière-pensées néo-colonialistes, encouragerait des dirigeants autoritaires africains à perpétrer leurs pratiques peu recommandables et qu’elle compromettrait la démocratie et la défense des droits de l'Homme. En 2012, le président chinois Hu Jintao déclarait lors d’un sommet du FOCAC : « La Chine est le plus grand des pays en développement, et l’Afrique, le continent qui en compte le plus grand nombre. (…) Les peuples chinois et africains nouent des rapports d’égalité, de sincérité et d’amitié, et se soutiennent mutuellement dans leur développement commun », rapporte Michael Klare dans Le Monde diplomatique.
Quant à l'Inde, elle joue sur ses points forts en déployant son soft power. Elle peut, par exemple, s'appuyer sur les valeurs communes de non-ingérence et de coexistence pacifique définies à Bandung en 1955, sur l'utilisation de l'anglais, sur sa diaspora, sur leur voisinage étendu à travers l’océan Indien et sur un passé en tant que membres du Commonwealth of Nations. A travers des forums tels que l’IASF et des actions menées via des communautés économiques régionales, elle tente d’agir au niveau continental, régional voire sous-régional. Sa présence reste cependant discrète, presque éclipsée par la prévalence jupitérienne de la Chinafrique. Malgré les efforts déployés par Narendra Modi depuis son accession au pouvoir en 2014, qui a accru les échanges et des investissements, l’Inde accuse d’un retard et peine à se faire une place en Afrique, constamment occultée par la Chine, que cela soit sur le plan économique, diplomatique ou culturel.
En accordant leur intérêt à l’Afrique et à son développement, la Chine et l'Inde permettent d'inclure un continent, dont le retard de développement est notoire, dans le système économique mondial. Les connexions sino- et indo-africaines sont une diversification importante des relations extérieures de l'Afrique et un catalyseur de développement économique qui constituent une avancée majeure pour le continent. La Chinafrique et l'Indafrique sont les hérauts d'un changement de paradigme, vers une « désoccidentalisation » du continent africain et du monde de façon plus globale, en faveur d’un « pivot vers l’Asie ».