- Clément Poissonnier
Coupe du Monde de football 2022 - Iran vs Etats-Unis : un enjeu géopolitique majeur
Le tirage au sort de la Coupe du Monde 2022 a donné lieu à une poule B très politisée donnant notamment un match opposant les Etats-Unis et l’Iran. Retour sur l’historique sportif de ces adversaires, sur et en dehors des terrains.
Alors que le conflit américano-iranien dure depuis 1979, tous les terrains sont bons pour faire la guerre. Ce 1er avril dernier, se déroulait le tirage au sort pour la Coupe du Monde qui se jouera en novembre prochain au Qatar. Cette compétition, déjà très controversée du fait des droits de l’Homme non respectés sur place ainsi que son déroulement hivernal, verra s’affronter l’Iran et les Etats-Unis le 29 novembre 2022 à Al Rayyan. C’est la seconde fois que les deux nations se retrouvent en Coupe du Monde de football. Déjà, en 1998 en France, l’Iran et les Etats-Unis se sont retrouvés dans un groupe F composé de la Yougoslavie et de l’Allemagne. Le match opposant les deux belligérants du conflit s’est déroulé au stade Gerland à Lyon là où la sécurité était peut-être plus importante qu'ailleurs du fait du contexte politique. L’Ayatollah Khamenei avait demandé à ses joueurs de ne pas effectuer la poignée de main réglementaire avant le match. Le quotidien, proche du pouvoir, iranien Jame Jam avait insulté ouvertement le sélectionneur américain Steve Sampson. Les autorités françaises ont dû mettre en place des consignes de sécurité spéciales.
Saddam Hussein, alors à la tête de l’Irak et ouvertement en guerre avec Khamenei, avait acheté à l’aide d’intermédiaires occidentaux plus de 7 000 places pour la rencontre DATE en essayant de déstabiliser le pouvoir iranien. Les autorités françaises sont intervenues au moment du déploiement d’une banderole politisée, ces débordements n’ont pas été retransmis à la télévision pour ne pas entacher l’image d’une Coupe du Monde 1998 très réussie. Sous l’administration de Bill Clinton et grâce aux efforts de la Fédération internationale de football association (FIFA), cette dernière avait alors décrété que ce match serait le match de la paix et de la réconciliation entre les deux pays. Ce match a montré une amélioration des relations entre les États-Unis et l’Iran, qui sera ensuite perturbée par l’arrivée au pouvoir de George Bush, le 20 janvier 2001 et la guerre en Irak de 2003.
Sur le pré, la confrontation a tourné au désastre pour les joueurs du nouveau continent. Après un premier but avant la mi-temps de Hamidreza Estili, la pression iranienne continuera jusqu’à la 84ème minute et un second but de l’attaquant Mehdi Mahdavikia. Une réalisation tardive de McBride ne permettra cependant pas aux américains de remporter la rencontre. Cette victoire iranienne, la première de leur histoire en Coupe du Monde, est avant tout une victoire politique dans un conflit qui dure depuis près de 20 ans. Les joueurs iraniens, notamment Mahdavikia, sont devenus ensuite, en Iran, des symboles vivants contre l’impérialisme américain.
Un contexte oppressant qui cristallise les tensions
Cette Coupe du Monde au Qatar est placée sous l’égide de la politique. Depuis l’obtention douteuse de l’organisation de l’évènement le 2 décembre 2010, la politique Qatarie a cherché à redorer son image, ce qui n’a pas eu l’effet escompté. En effet, l’achat du club du Paris Saint Germain, aux résultats sportifs aléatoires sur le plan européen, devait être une réelle vitrine. De plus, les problèmes autour de cette compétition s’accumulent. Le financement supposé de l’invasion russe en Ukraine ainsi que les quelque 6 000 morts d’ouvriers dans le cadre de l’organisation dénombrés par l’association Amnesty International font grincer des dents les occidentaux. Malgré quelques avancées sociales vendues et félicitées par Gianni Infantino, le Président de la FIFA, cela reste très insuffisant selon l'œil occidental.
Pourtant, les Etats-Unis ont de très bonnes relations avec le Qatar puisque ce dernier a été désigné allié majeur non membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’Iran est également un pays qui a d’étroites relations avec le Qatar puisque ces pays font partie de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Malgré les liens économiques, les relations ne sont aujourd’hui pas tout à fait au beau fixe après que l’Arabie Saoudite ait rompu ses liens avec Téhéran après l’attaque de leur ambassade dans la capitale iranienne en 2016.
Tout est donc au rendez-vous pour une rencontre explosive même si le Qatar et ses autorités auront un rôle indirect à jouer. Il reste à voir comment sera anticipé l'événement et la sécurité qui sera mise en place.
Une rencontre sportive qui promet d’être intéressante
Même si les tensions politiques ne pourront être mises de côté pour cette rencontre, les fédérations américaines et iraniennes veulent se concentrer sur l’aspect sportif que revêt ce match.
Le sélectionneur croate des lions de Perse (surnom de l’équipe nationale d’Iran), Dragan Skocic a ainsi déclaré à l’agence d'État iranienne IRNA lors d’une longue interview : « Je ne m'intéresse pas aux enjeux politiques par rapport aux Etats-Unis (...) Il y a des sujets entre les deux pays mais nous ne voulons penser qu'au football ».
L’Iran va participer à sa 3ème Coupe du Monde consécutive. Le pays est membre de la Fédération asiatique de football (AFC) et est classé 21ème au classement officiel de la FIFA, son meilleur depuis son intégration. Skocic a souhaité faire passer un vent frais d’optimisme dans les rangs iraniens déclarant également que « l’Angleterre sera l’équipe la plus dure à battre mais nous avons nos chances je suis très confiant ». Les américains, eux aussi, se sont facilement qualifiés en terminant 3ème de la zone Amérique du Nord, derrière le Canada et le Mexique. Le sélectionneur Gregg Berhalter a souhaité désacraliser ce moment en commentant le tirage au sort lors d’une conférence de presse : « C’est du passé et ce qui compte pour nous, c’est ce qui va arriver » en faisant référence au match de la Coupe du Monde 1998. Il a également poursuivi en déclarant « Le football est capable de transcender beaucoup de ce qui est politique et c’était amical sur le terrain (…) L’Iran est décidé à faire du bon boulot à la Coupe du monde et nous avons le même objectif. Les deux équipes ont bien travaillé pour se qualifier et nous voyons ce match simplement comme un match de Coupe du Monde ». Ce groupe sera également composé de l’Angleterre ainsi que du vainqueur du barrage de la zone Europe, c'est-à-dire le Pays de Galles, l’Ecosse ou l’Ukraine. Quelque soit le qualifié, ce groupe B aura une valeur très géopolitique. Qui réussira à se qualifier ? Réponse lors du début de la compétition le 21 novembre prochain.
Clément Poissonnier est étudiant à l’ESJ Paris en troisième année de journalisme et est stagiaire dans le pôle rédaction de Statu Quo.