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  • Chloé LENOIR

Centre Pompidou West Bund Museum : Coopération culturelle et soft power

Le 5 novembre 2019, Emmanuel Macron inaugurait la nouvelle antenne du Centre Pompidou, cette fois située à Shanghai. Pour la troisième fois, après Bruxelles et Malaga, le musée parisien s’exporte à l’international en partenariat avec la société d’aménagement semi-privée chinoise West Bund. Si l’antenne doit avant tout être « le lieu des rencontres », elle porte également la volonté durable de de « comprendre ce qui s’y passe (en Chine), pour en faire partie ».


 

Un projet de longue haleine


En 2005, le Centre Pompidou réalisait sa première exposition « Nouvelles vagues, un point de vue sur l’art français contemporain » en Chine, organisée en partenariat avec le Shanghai Art Museum, dans le cadre de l’année de la France en Chine. Après un important succès, l’exposition convainc le Centre d’ouvrir une nouvelle antenne à Shanghai afin d’y présenter sa nouvelle collection. Située sur l’avenue Huaihai Zong Lu dans l’actuelle maison Hermès, l’ouverture n’avait finalement pu aboutir en raison de désaccords entre les différents acteurs du projet.

Ce n’est que 6 ans après, en 2016, que le Centre Pompidou parvient à se réimplanter en République populaire de Chine avec l’exposition « Masterpieces from the Centre Pompidou 1960-1977 » réalisée en partenariat avec le musée Picasso. Grâce à cette réussite, le musée a pu bénéficier d’une importante retombée médiatique, amorçant l’ouverture officielle d’une nouvelle antenne de celui-ci. C’est finalement en novembre 2019 que le président français et son ministre de la Culture, Franck Riester, accompagnés de personnalités du monde culturel français à l’instar du musicien Jean-Michel Jarre ou de l’acteur Guillaume Canet, sont venus à la rencontre d’artistes chinois afin d’inaugurer le nouveau Centre Pompidou West Bund Museum (西岸美术馆, nom local). La loi chinoise interdisant l’implantation des musées étrangers, c’est par l’intermédiaire d’une société semi-privée que le partenariat franco-chinois s’est concrétisé.


« Ce projet s’inscrit dans un agenda que nous portons avec les autorités chinoises, qui comporte à la fois une dimension muséale et une dimension patrimoniale.»


Situé le long des berges de la rivière Huangpu dans le quartier Xuhui, une ancienne friche industrielle réhabilitée en vaste lieu culturel à l’ouest de Shanghai, le musée s’étend sur une dizaine de kilomètres et s’ajoute aux infrastructures déjà présentes : le Long Museum, le Yuz Museum, le Centre de la photographie de Shanghai, le parc Tank Shanghai ainsi que le Start Museum.

Conçu par l’architecte britannique David Chipperfield, le bâtiment de 25 000 mètres carrés est composé de trois galeries qui « seront consacrées à la présentation des collections du Centre Pompidou avec trois parcours semi-permanents sur cinq ans et deux expositions temporaires par an. Une salle spécifique, « The Box » sera dédiée à la présentation d’installations multimédias tandis qu’une « Galerie 0 » accueillera des projets in situ, prospectifs, mettant à l'honneur les jeunes artistes. Un auditorium sera également dédié à des conférences, projections, concerts et spectacles et un hall de presque 400m² accueillera des activités de médiation (playground pour le très jeune public, ateliers…). » comme le précise l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), associé au Centre Pompidou sous la tutelle du Ministère de la Culture.

Le partenariat signé entre le musée parisien et le West Bound Development Group a plusieurs objectifs : le prêt d’œuvres des collections du Centre Pompidou ; la conception d’expositions exclusives ; la mise en œuvre de la programmation culturelle et des activités de médiation ; la formation de professionnels des musées ; la présentation au Centre Pompidou à Paris de projets et d’expositions d’artistes chinois. D’une durée de cinq ans, cette coopération culturelle se conclura en 2024, sauf si les deux institutions décident de la reconduire, comme l’espère la France.



De l’intérêt pour le Centre Pompidou de s’exporter en Chine


Grâce à ce partenariat, le Centre bénéficie d’importantes retombées médiatiques et économiques. En effet, outre la prise en charge des coûts de fonctionnement annuel s’élevant à 2,7 millions d’euros par le West Bund Group, la société verse également une redevance pour l’exploitation de la marque à hauteur de 1,4 millions d’euros, de quoi aider le musée qui souffre d’un manque de financement. Outre la simple redevance, la coopération permet au Centre Pompidou d’attirer une nouvelle clientèle à Paris, notamment chinoise qui ne représentait que 2% des 3,5 millions de visiteurs en 2019. “Il y a un public en cours de constitution. Et de toute manière, les proportions sont telles que même si vous ne touchez qu'un très faible public, proportionnellement, cela va représenter un public très important de façon absolue » souligne Serge Lasvignes, ancien président du Centre Pompidou de 2015 à 2021.


Depuis l’ouverture de l’antenne, le musée parisien a également pu profiter de la venue d’artistes chinois, afin d’enrichir ses collections. « Il faut le faire à bon escient, et pendant qu’il en est encore temps, avant qu’elles ne deviennent inaccessibles, notamment du point de vue financier. », précisait Serge Lasvignes à l’ouverture de l’antenne. Enfin, le Centre a su attirer de grandes entreprises, intéressées par l’idée d’investir dans l’antenne chinoise à l’instar de la Société Générale qui avait investi 250 000 euros suite à l’exposition Picasso à Moscou et Saint-Pétersbourg durant l’année France Russie en 2010.



Le cheval de Troie


Si le rayonnement culturel et l’aspect financier sont d’importants bénéfices pour le Centre Pompidou, le West Bund Museum constitue également un important enjeu de soft power et de diplomatie pour la France.

Grâce à l’exportation de l’institution, le monde culturel français bénéficie d’un rayonnement international, amorcé en 2017 avec l’ouverture du Louvre Abu Dhabi. À travers les expositions et les artistes, la France profite d’un prestige soucieusement entretenu par les différents présidents. Aussi, s’inscrivent dans cette volonté les journées croisées organisées par l’Institut français, bras armé du ministère des Affaires étrangères, qui ont permis au Centre de réaliser sa première exposition à Shanghai durant l’année de la France en Chine en 2005.

À travers son rôle marchand, l’art permet au pays des Lumières d’organiser ses relations diplomatiques avec les autres États. En 2019, le cabinet de conseil stratégique Portland et le centre de diplomatie publique de l’université de Californie du Sud situaient la France première dans le classement du Soft Power 30. « Son retour à la première place témoigne de ses solides ressources de puissance douce, stimulées par un leadership présidentiel fort dans un contexte d'incertitude géopolitique plus large. », ajoute l’institut.


Bien qu’« Emmanuel Macron et Xi Jinping ont conjointement assisté à l’officialisation d’une exposition illustrant les relations de deux de leurs lointains prédécesseurs : le roi Louis XIV (1683-1715) et l’empereur Kangxi (1654-1772). » comme le rapporte Slate, les relations entre les deux pays n’ont pas toujours été aussi radieuses. Aujourd’hui encore, la France s’inquiète de la croissance fulgurante de la Chine populaire et craint une future hégémonie de celle-ci.

Aussi, depuis l’inauguration de l’antenne, l’État français ne s’est jamais caché de l’intérêt politique de cette nouvelle collaboration. Pour cause, la France voit en celle-ci l’occasion « d’exporter notre savoir-faire et nos expositions, mais aussi, en retour, d’avoir sur place un poste d’observation formidable. » comme le souligne Sam Stourdzé, ancien directeur des Rencontres d’Arles. L’objectif est clair : avoir un œil sur ce qui se passe à l’intérieur de l’État afin d’avoir un coup d’avance sur la deuxième puissance mondiale.



Le refus de l’occidentalisation de la société chinoise


Malgré une apparente réussite, le Centre Pompidou à Shanghai doit faire face au refus du Parti communiste chinois et du Président Xi Jinping de l’occidentalisation de la société. Le pouvoir, attaché aux valeurs traditionnelles confucéennes, craint les conséquences d’un rayonnement trop important de la culture moderne occidentale. Le président français, Emmanuel Macron, avait inauguré la nouvelle antenne accompagné de personnalités mais en l’absence de son homologue Xi Jinping, ce dernier refusant de faire du musée une affaire politique.


Une des problématiques de la coopération culturelle avec la Chine a été la question de la censure, régulièrement pratiquée par le gouvernement chinois. Toutes les œuvres présentées publiquement au musée doivent ainsi être validées par les autorités et certaines toiles sont écartées, sans marge de négociation. Parmi les artistes censurés, les autorités chinoises ont notamment interdit l’exposition des œuvres du Collectif des Étoiles (« Xing Xing »), mouvement avant-gardiste de l’art contemporain chinois. Plus de 40 ans après sa création, le groupe d'artistes dissidents qui avait dû quitter la Chine après avoir défié le pouvoir central en réclamant la démocratie et la liberté artistique, est toujours victime de censure. « Je voulais changer la société. », affirmait Wang Keping, un sculpteur réfugié à Paris. Toute œuvre à caractère politique, érotique ou s’opposant au régime est inéluctablement retirée de la circulation.


Pourtant, paradoxalement, la société chinoise s’ouvre à l’art moderne et rencontre l’art occidental. Bien que réticent à l’idée de l’installation du Centre Pompidou, Xi Jinping a accepté l’ouverture de cette antenne, conscient de la volonté populaire d’avoir accès aux œuvres étrangères. « La classe moyenne chinoise, sur laquelle s’appuie le Parti communiste, a soif d’ouverture sur le monde, comme en témoigne le tourisme en hausse, la consommation des marques occidentales, mais aussi le succès des grandes expositions comme Picasso, qui a battu tous les records d’affluence cette année à Pékin. », avance France Inter.


Face aux tensions, Emmanuel Macron réclame « l’art de l’esquive ». « Le processus des autorisations et des approbations peut paraître complexe, mais nous savons nous adapter, dit-il. En fin de compte, servons-nous mieux la démocratie en évitant la Chine ou en y étant présent, en nouant des liens, en donnant accès à la culture occidentale ? Aujourd’hui, nous avons l’espace de liberté suffisant pour travailler avec la Chine », se rassurait Serge Lasvignes.


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