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  • Lea Raso Della Volta

Ce que Vladimir Poutine veut

OPINION : Vladimir Poutine ne s’est jamais senti menacé par les choix de l’Ukraine à vouloir intégrer l’Union européenne ni même l’OTAN. Ce qui l’a décidé à déclarer la guerre à ce pays, c’est la crainte que ces adhésions et les nouvelles alliances qu’elles engendreraient, mettent un terme à sa stratégie expansionniste qui vise l’Occident.


 

Il ment, il joue au chat et à la souris avec l’Occident depuis fort longtemps et il est en train d’abattre ses cartes de son jeu, l’une après l’autre. Derrière sa stratégie, que les Occidentaux feignent d’ignorer, il y a une volonté hégémonique russe, à court terme, sur tout le continent européenne.

Il existe une trame, à ce scénario écrit depuis des décennies, par Vladimir Poutine dont l’objectif est de s’emparer du leadership mondial, supplanter la puissance anglo-saxonne et édicter ses règles au monde, ce qu’il fait d’ailleurs, lorsqu’il enjoint les Européens à se mêler de leurs affaires et à laisser tomber l’Ukraine.

Dès son accession au pouvoir, il n’avait qu’une idée en tête, redonner vie et lustre à son empire défunt. Dans les années 2000, un certain Ahmet Davutoğlu, alors ministre des Affaires étrangères de Recep Tayyip Erdoğan fit de même pour la Turquie, en élaborant sa théorie de la profondeur stratégique, un livre passablement ignoré en Occident et qui s’appuie sur les mêmes principes qui animent la politique étrangère de Vladimir Poutine, à savoir redonner un espace à l’empire défunt et regagner un poids régional.


Vladimir Poutine ne renoncera pas à sa guerre Ukraine et aux objectifs à long terme qu’il s’est fixé, car comme l’avait écrit Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie » et même les sanctions, qui ciblent des oligarques russes, en leur interdisant de voyager dans l'Union européenne et en gelant leurs avoirs financiers, de par le monde, risquent fort de ne pas avoir d’effets, car le chef du Kremlin estime que son temps est venu de reprendre ce qu’il estime appartenir de toute éternité à la Grande Russie. Aussi, il ira jusqu’au bout.

Il a misé sur un Occident frileux, incapable de s’entendre, une opinion qu’il s’est forgée pendant la guerre en Syrie, où les troupes russes ont tenu tête à DAESH. Barack Obama, désireux de voir son pays s’engager dans le conflit, céda face à la pression de la population américaine, qui ne souhaitait pas d’une guerre au Moyen-Orient.

Pour asseoir cette influence régionale, employant une stratégie entre le soft power et hard power, en janvier 2022, il a envoyé ses troupes au Kazakhstan, qui faisait face à une révolte suite à une hausse du prix du carburant. Le président kazakh a fait appel à l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et la Russie a aidé cet allié à mater la révolte. Ces deux événements qui se situent doivent être compris comme faisant partie de la nouvelle stratégie de Vladimir Poutine.



McKinder et Alexandre Douguine, des stratégistes ignorés en Occident


Le nom d’Alexandre Douguine, n’a pas de résonnance particulière en Occident, pourtant, il est à l’origine de la doctrine néo-eurasienne, qui pose le principe selon lequel la civilisation maritime qui s’est imposée pendant des siècles sur les mers, a donné naissance à la puissance anglo-saxonne et au Commonwealth, comme l’affirmait Walter Raleigh : « qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ».

Alexandre Douguine a défini lui-même son mouvement comme un « centre radical » et comme « le premier parti géopolitique ». Le sentiment anti-occidental qui semble induire l'eurasisme évolue toutefois, selon Nina Bachkatova, journaliste spécialiste de la Russie, vers ce qu'elle appelle l'a-occidentalisme. Les dirigeants chinois et russes, par exemple, partagent une même volonté d'intégration dans un monde globalisé. Ils font partie d'un groupe croissant de pays qui n'est pas anti-occidental mais a-occidental et qui veut suivre ses propres voies de développement. Pour Vladimir Poutine, le temps est venu de s’affirmer et d’abattre la puissance anglo-saxonne et Européenne. Par le groupe Wagner, n’a-t-il pas d’ailleurs commencé à bouter la présence française hors du Mali ?


Alexandre Douguine, dans ses nombreux ouvrages, ne fait que reprendre les idées du géographe et stratégiste anglais, Halford J. McKinder qui au 19e siècle, a parlé du Heartland, qui n’est autre que l’Europe orientale, avec en périphérie le Rimland. Le Heartland se trouve au centre de « l'Île monde » et englobe une vaste zone géographique qui s’étend de la Volga au Yangtze, et de l'Himalaya à l'Arctique. Un territoire majoritairement occupé par l'Empire russe à l'époque, et que Halford McKinder définissait comme étant le plus fertile et le plus important, stratégiquement, du monde.

Quant à la plaine ukrainienne, il la percevait comme un l'espace de mobilité par excellence, permettant des invasions rapides permettant un accès à l’Atlantique, car la géostratégie du 19e siècle est marquée par la course aux « mers dites chaudes » qui eut lieu entre l’Empire russe et le monde anglo-saxon.

À l’instar de McKinder, Vladimir Poutine et Alexandre Douguine considèrent que le pays « qui tient l’Europe orientale tient le Heartland, qui tient le Heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ». La suite des événements, nous est connue.


Son objectif est, par conséquent, de constituer un grand bloc continental eurasien, lui permettant de lutter à armes égales contre la puissance maritime « atlantiste » qui représente le « mal mondial », et entraîne le monde vers le chaos. Aussi, ce qui se dessine sous nos yeux, c’est un nouvel ordre avec un nouveau leadership : la Russie qui tente de fédérer autour d’elle et qui a créé en 2000 l’Eurasec, Communauté économique eurasiatique qui eut une durée de vie de 15 ans (2000-2015) sur le modèle du Commonwealth.

Si le volet économique se solda par un échec, la volonté de Poutine de faire de la Russie une puissance régnant sur plusieurs continents demeure intacte. C’est ce que l’a incité à créer une force : l'Organisation du traité de sécurité collective ou OTSC qui réunissait la Russie, Kazakhstan, Arménie, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, mais l’Ukraine n’y a jamais adhéré. Le jeu des alliances lui a permis d’intervenir au cours de l’été 2021 lors du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.


Nous pouvons être sûrs que la guerre ne s’arrêtera pas, car si le verrou ukrainien ne saute pas, alors Vladimir Poutine estimera avoir échoué, seulement à cette condition.



L’Ukraine, cousin et mouche du coche ?


Contrairement à ce que prétendent certains observateurs, nous ne sommes plus dans un contexte de Guerre froide, comme au temps des missiles russes pointés sur l’Amérique. Vladimir Poutine ne veut pas de l’OTAN et de l’UE aux portes de la Russie, car ils sont une entrave à son désir d’expansion.

Vladimir Poutine se méfie de l’Ukraine et de son souhait de rallier le camp occidental ; il renie le Mémorandum de Budapest, signé en 1994, et qui garantissait les frontières de la Biélorussie, du Kazakhstan et de l’Ukraine, qui s’engageait à respecter l’indépendance et la souveraineté ukrainienne dans ses frontières actuelles, et de s'abstenir de toute menace ou usage de la force contre l'Ukraine ou d'utiliser la pression économique sur l'Ukraine en vue d'influencer sa politique.


Le chef du Kremlin connaît bien son histoire et le prométhéisme, mouvement du 20e siècle qui réunissait les réfugiés non-russes d’URSS : « né de l’échec des républiques indépendantes surgies dans l’Empire lors de la révolution de 1917 » . Leurs dirigeants furent accueillis dans les capitales européennes d’où ils purent mener la résistance.

L’idée fondamentale était la solidarité, et de là naquit, le mouvement prométhéen en 1921, contre l’agresseur bolchévique et russe.

Et l’Ukraine ? C’est elle qui est au cœur de l’Europe et qui fut très tôt indépendante, militairement très puissante. Son leader Simon Petlioura fut l’un des principaux négociateurs entre les représentants des peuples soumis et les Ukrainiens. Mais le 5 février 1918, l’Ukraine fut balayée et ses représentants se replièrent sur la Géorgie qui, le 25 février de la même année, subit à son tour une éclipse. Ce fut un coup très dur pour les nationalités. Ce mouvement au cœur de la renaissance nationale a été initié par le Maréchal Józef Pilsudski. Son but était d'affaiblir l'Empire russe et son État successeur, l'Union soviétique, en soutenant les mouvements nationalistes d'indépendance parmi les principaux peuples non-russes qui vivaient à l'intérieur des frontières de la Russie et de l'Union soviétique. C’est à eux auxquels Vladimir Poutine fait allusion en parlant des nazis de Kiev, reprenant ainsi le vieil argument de Staline, qui justifiaient à ses yeux et à ceux du monde, l’annexion de la Crimée, au motif que ses habitants avaient collaboré avec les nazis.

Depuis le début du conflit Vladimir Poutine répète à l’envi les expressions : “Clique de drogués et de néonazis” « Nazi » « drogués », C’est une rhétorique qui s’adresse autant au pouvoir ukrainien, qu’à l’Occident « drogué », qu’il pensait abattre d’une chiquenaude.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, les médias semblent désorientés par cette prose véhémente, alors même que l’agresseur est tout désigné.


Certes en temps de conflit, les mots sont rarement mesurés et servent des intérêts stratégiques du moment, et plus ils sont outranciers, plus ils désarçonnent l’adversaire. Ce qui nous interpelle, c’est le choix des mots : « nazi », « drogué », comprendre, qu’il s’agit d’une référence historique.

L’Ukraine abattue, le pouvoir de mener la bataille contre les Bolchéviques, fut dévolu aux Polonais et au Maréchal Pilsudski car Petlioura fut assassiné en 1926 à Paris, pour son antisémitisme notoire.

« Le soutien de la Pologne à l’Ukraine était une simple suite de l’alliance de 1921 entre Petlioura et Pisudski ».

Et Vladimir Poutine craint une alliance entre Ukraine et Pologne, qui pourrait mettre un coup d’arrêt à sa volonté d’expansion. L’Ukraine, une fois dans l’OTAN et dans l’UE aurait empêché toute progression vers l’Ouest.



Conclusion


« Vladimir Poutine n’est pas anti-occidental, il est a-occidental,» à savoir que le temps du règne de l’Occidental et de la puissance anglo-saxonne est à ses yeux révolu : il s’agit de prendre le pouvoir, pour abattre cet Occident qu’il perçoit comme décadent et proche de la sortie. Pour ce faire, il souhaite instaurer un nouvel ordre mondial, mais avant cela, il faut abattre ce qui fait la force de l’adversaire ou peut-être les dernières forces, l’UE et l’OTAN. Le néo-eurasisme est la doctrine qui préside à la naissance de cette nouvelle ère et Alexandre Douguine son idéologue.



 


Bibliographie


Copeaux Etienne, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien (CEMOTI), n° 16, 1993, pp. 9-45.

Davutoğlu, A, Stratejik Derinlik, Küre Yayınları, 2014, 600 p.

Douguine, A, La quatrième théorie politique, la Russie et les idées politiques du xxième siecle, Ars Magna, 2016.

McKinder, H, J, The modern British state : an introduction to the study of civics, London: G. Philip, 1914.

Patrick O’Brien, P, Le mythe de la continuité anglo-saxonne: de la suprématie britannique à l’hégémonie américaine, in : Agone 2014/3 (n° 55), pp. 111 à 140

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