- Chloé LENOIR
Artistes Ukrainien·ne·s et Russes dissident·e·s, la communauté internationale se mobilise
Parmi les 6,6 millions d’Ukrainien·ne·s qui ont fui leur pays depuis le début de l’invasion par l’armée russe le 24 février, bon nombre d’artistes ont été contraint·e·s à l’exode afin de préserver leur vie et leur art. Face à cela, États et ONG mettent en place une aide exceptionnelle pour les accueillir et leur permettre de poursuivre leur travail de création.
L’exil des artistes
« À l’Atelier des artistes en exil, les gens arrivent de la guerre sans rien, avec un sac à dos », titre Radio France dans un article présentant le rôle de l’association dans l’accueil des artistes réfugié·e·s.
Alors que les bombardements russes détruisent les institutions ukrainiennes, les musées, théâtres, cinémas et opéras disparaissent, laissant les artistes orphelin·e·s. Forcé·e·s de partir, ces dernier·e·s rejoignent les pays frontaliers comme la Moldavie ou la Pologne et tentent aussi de s’installer en France, où toutes et tous espèrent pouvoir créer librement.
De leur côté, les artistes Russes dissident·e·s pâtissent aussi de la politique de Vladimir Poutine qui impose surveillance et censure. Boris Akouine, célèbre auteur considéré comme l’une des voix intellectuelles anti-Poutine, avait déjà été contraint à l’exil après avoir manifesté contre l’annexion de la Crimée en 2014. « Il a fondé en mars 2022, avec Mikhail Baryshnikov, danseur qui a quitté la Russie dans les années 70, et Sergei Guriev, économiste, l'organisation « True Russia » afin de venir en aide aux réfugiés Ukrainiens. », relaie le quotidien Les Échos.
Les fonds d’urgence
Face à la guerre, la communauté internationale met en place des fonds d’urgence et des résidences d’accueil afin d’accompagner les artistes réfugié·e·s.
En complément des mesures d'urgence déjà instaurées, l’UNESCO a annoncé, le 9 juin dernier, mettre en place un dispositif dédié aux artistes Ukrainiennes qui ont dû fuir leur pays en raison de la guerre. En partenariat avec l’ONG Artists at Risk, présente dans plus de 15 pays, ce dispositif permettra aux artistes concernées de bénéficier d’un « accompagnement d’une durée de trois mois minimum par une institution culturelle de leur pays hôte. Elles seront prises en charge avec leurs enfants au sein de résidences artistiques, et bénéficieront d’un appui en termes de mise en réseau, de visibilité et de conception de nouveaux projets culturels. » Pour cela, l’UNESCO a provisionné 140 000 dollars afin de financer ce dispositif qui devrait permettre à une trentaine d’artistes et leurs enfants d’être accompagnés.
Pour l’organisation internationale, la prise en charge des femmes et enfants réfugiés est une priorité : « La guerre a poussé des millions d’Ukrainiens sur les routes de l’exil, dont une immense majorité de femmes et d’enfants. Parmi ces personnes, des femmes artistes qui ont été contraintes de suspendre leur activité de création, n’ont souvent pas les ressources matérielles et financières pour les reprendre dans leur pays d’accueil. », explique Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO.
Au niveau national, la France a annoncé la mise en œuvre d’un « fonds de soutien destiné à accueillir les artistes, journalistes et professionnels de la culture ukrainiennes réfugiés en France », ainsi qu’aux artistes Russes dissident·e·s. Ce dispositif de 1,3 million d’euros se divise en plusieurs volets : un dispositif d’accueil d’urgence ainsi qu’une plateforme d’accueil téléphonique, un programme de soutien à la création artistiques, un accompagnement des étudiant·e·s d’Ukraine ainsi qu’une offre de formation au français pour permettre aux réfugié·e·s une meilleure insertion professionnelle. Parmi ce fonds de soutien, 300 000 euros sont consacrés à l’accueil des étudiant·e·s dans les quatre-vingt-dix-neuf écoles sous tutelle du ministère de la Culture.
En parallèle, de nombreuses ONG participent également à l’accueil des artistes, sans distinction entre réfugié·e·s Ukrainien·ne·s et Russes. « La scène mondiale de l’art se doit d’être solidaire des artistes anti-Poutine qui sont en Russie et risquent gros » rappelle Michel Guerrin, rédacteur en chef au journal le Monde. Parmi eux, l’association l’Atelier des artistes en exil à Paris s’attache à permettre aux artistes en exil de leur offrir les conditions nécessaires à leur pratique. « Parce que le rôle de l’art est de dire et montrer ce qui dérange, de faire entendre la voix des opprimé·e·s, l’Europe créative doit être particulièrement vigilante à l’égard des artistes et mettre en place des structures d’accueil appropriées. L’artiste doit pouvoir continuer à exercer son art, en tant qu’individu mais aussi en tant que dépositaire d’une culture. C’est à travers l’art que la culture d’un peuple en péril peut continuer à se perpétuer. » affirme l’association. Pour cela, une ligne téléphonique, des ateliers ainsi que des résidences d’artistes sont mises en place pour faciliter aux artistes l’obtention de visas, de logements et d’emplois.
Du côté des institutions culturelles, musées et bibliothèques s’allient pour donner la parole aux artistes « parce que, comme l’a déjà dit l’artiste Nikita Kadan, “la visibilité peut sauver des vies.” » réaffirme le Centre Pompidou. En partenariat avec la Bibliothèque publique d’information (Bpi), le musée parisien a mis en place un Débat afin de permettre aux « figures de la scène artistiques ukrainienne et de sa diaspora » de faire entendre leurs voix. Cette rencontre met en lumière le travail « de professionnels de l’art et de la culture qui se mobilisent en solidarité avec l’Ukraine » à l’instar des collectifs Initiative for Practices and Visions of Radical Care, Beyond the post-soviet et La maison de l’ours.
Le 24 juin, le président ukrainien Volodomyr Zelensky a appelé les 200.000 festivaliers réunis à Glastonbury à soutenir les Ukrainien·ne·s face à l’invasion russe. « Nous aussi en Ukraine nous aimerions vivre comme avant et profiter de la liberté et de ce merveilleux été. Mais nous ne pouvons pas le faire parce qu'un événement terrible est arrivé : la Russie nous a volé la paix. », a déclaré Volodymyr Zelensky. « C'est pourquoi je me tourne vers vous pour demander votre soutien, Glastonbury, le plus grand rassemblement pour la liberté ces jours-ci, et je vous demande de partager ce sentiment avec tous ceux dont la liberté est menacée. », a ajouté le président.
L’art comme seul moyen d’expression
« En Russie, la création artistique reste foisonnante. Mais depuis le virage conservateur de Vladimir Poutine, qui s’apprête à être réélu pour un quatrième mandat en mars 2018, la culture est devenue l’un des terrains d’action favoris du régime et de l’Église, le lieu de tous les opportunismes et de tous les règlements de comptes au nom des valeurs patriotiques ou religieuses. » Comme réponse à plusieurs années de censure sous le régime de Poutine, les artistes Ukrainien·ne·s et Russes réfugié·e·s continuent de prendre la parole et utilisent « la scène comme espace de résistance ».
C’est ce qu’a fait l’artiste Russe Andreï Molodkin, un artiste dissident de longue date. « Je donne mon sang et ma vie pour l’art, pas pour un système ou un gouvernement criminel. » confie l’artiste à France 3 le 14 avril. Avec son œuvre choc : « Putin filled with ukrainian blood », Andreï Molodkin conteste une nouvelle fois les agissements de Poutine et la guerre en Ukraine. Le portrait officiel du président Vladimir Poutine rempli du sang du peuple ukrainien a été projeté à Londres, sur l’autel de l’église St John’s, et en Slovénie sur la façade d’un immeuble. Cette image de huit mètres de haut a été conçue au centre d’art expérimental « The Foundry », une ancienne fonderie située dans les Hautes-Pyrénées et rachetée en 2016 par l’artiste pour la transformer en lieu de création et de résidence.
Pour l’œuvre, plusieurs Ukrainiens ont accepté de donner leur sang à Andreï Molodkin avant de partir se battre. En haut du portrait un compteur fait défiler le nombre d’Ukrainiens morts au combat depuis le début de la guerre. « C’est (Poutine) un criminel sanguinaire qui est à l’origine de cette guerre, responsable de la mort de ces gens, il fait couler le sang des innocents pour servir son intérêt personnel. » dénonce l’artiste.
Au théâtre, c’est le chanteur et metteur en scène ukrainien Vlad Troitskyi qui utilise l’art pour témoigner et dénoncer la guerre. En 2014 déjà, l’artiste dénonçait la guerre du Donbass avec un groupe de musique politisé, les Dakh Daughters. Aujourd’hui réfugié dans le Calvados, Vlad Troitskyi se confie sur les débuts de la guerre dans un entretien avec Radio France : « Quand la guerre a commencé, nous sommes restés deux semaines en Ukraine. Nous nous sommes posé la question : 'Comment pouvons-nous aider et défendre notre pays ?' Nous avons décidé, après invitations de Lucie Berelowitsch, directrice du centre dramatique national de Normandie, et Stéphane Ricordel, du Théâtre Monfort à Paris, de partir. » Si sa vie a beaucoup changé depuis le début de la guerre, son objectif reste le même : utiliser l’art pour continuer de témoigner. Il espère pouvoir retourner en Ukraine, sa « mère patrie », où son théâtre l’attend.